ENQUÊTE SPÉCIALE MEDIAPART SUR UN POSSIBLE CONFLIT D’INTERÊTS EN 2022 DE LAURENT COLLET-BILLON DANS DE PRECEDENTES MISSIONS. IL EST DESORMAIS ADMINISTRATEUR D’ATOS.
Dans le soucis de pluralité qui a toujours été le notre, il nous apparaissait important de fournir aux lecteurs toutes les informations sur les « candidats » au CA d’Atos et en particulier cet article qui met à jour un possible conflit d’intérêt du candidat Collet-Billon. Entre Jean-Pierre Mustier condamné en 2010 pour délit d’initié et un possible d’intérêt, il a fait fort l’ami Bretrand… D’autres articles sont à suivre dans les prochains jours sur les autres candidats.
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L’article
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Le ministre des armées a nommé l’ancien délégué général de l’armement Laurent Collet-Billon à la tête d’une mission pour augmenter la production d’obus de 155 mm. Sans dire que ce dernier travaille pour une entreprise qui est justement spécialisée dans la production de ces munitions.
Justine Brabant et Antton Rouget
9 mars 2023 à 15h44
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Lorsqu’il a tenu une conférence de presse à ses côtés, le 22 février, afin d’annoncer un « plan d’action pour la production des munitions » françaises, le ministre des armées a présenté Laurent Collet-Billon comme une « personnalité reconnue du monde de la défense ». Et pour cause : cet ingénieur de formation, ayant travaillé 43 ans pour le ministère, est surtout connu pour avoir occupé la fonction hautement stratégique de délégué général pour l’armement (DGA) de 2008 à 2017.
Ce jour-là, Sébastien Lecornu a donc confié, « sur demande du président de la République », à « l’ancien DGA » Laurent Collet-Billon une mission : proposer des solutions pour « augmenter les cadences de production » d’armes françaises, notamment les « [missiles] Mistral et les obus de 155 mm ». Ces derniers sont particulièrement sollicités dans le cadre de la guerre en Ukraine.
Mais lors de sa présentation, le ministre des armées a occulté la partie la plus récente du curriculum vitae de son nouveau « Monsieur munitions » : depuis qu’il a quitté ses fonctions de délégué général pour l’armement, en 2017, Laurent Collet-Billon conseille des industriels du secteur, parmi lesquels… une entreprise justement spécialisée dans la fabrication d’une partie des obus de 155 mm.
Cette omission dans le CV de l’ancien DGA n’est pas anodine : son lien avec des entreprises d’armement le place de facto dans une situation de conflit d’intérêts. Elle semble d’ailleurs embarrasser les principaux intéressés, qui ont refusé de répondre aux questions de Mediapart.
Sollicité par téléphone le 6 mars, Laurent Collet-Billon nous a fait savoir qu’il « n’était pas intéressé » par nos questions. Le ministère des armées, interrogé précisément le 2 mars sur le périmètre de la mission de Laurent Collet-Billon et sur le conflit d’intérêts né de ses liens avec les industriels du secteur, a également refusé de nous répondre.
La reprise des « Forges de Tarbes »
Reconverti depuis 2017 dans le conseil aux entreprises (il a créé pour cela son cabinet, LCB Conseil), Laurent Collet-Billon est notamment administrateur du groupe Europlasma, propriétaire des Forges de Tarbes, qui usine les chambres d’obus 155 mm pour le groupe d’armement Nexter (propriété à 50 % de l’État français). Laurent Collet-Billon a d’ailleurs joué un rôle important dans le rachat par Europlasma, en 2021, de cette petite unité industrielle basée dans les Hautes-Pyrénées.
Les Forges de Tarbes (qui s’appelaient alors Tarbes Industry) se trouvaient à cette époque dans une situation délicate et pour le moins paradoxale : malgré un chiffre d’affaires garanti par le ministère des armées, qui avait convaincu Nexter de remplir le carnet de commandes de son sous-traitant sur plusieurs années, l’usine souffrait d’un manque criant d’investissements de la part de son propriétaire, Frank Supplisson, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy et de Christine Lagarde. Ce dernier, fort d’un carnet d’adresses important dans les sphères politiques et de la haute administration mais sans réelle expérience industrielle, s’est spécialisé dans la reprise d’entreprises en difficulté, ce qui lui a valu plusieurs déconvenues et mises en cause judiciaires.
Au printemps 2021, après plusieurs mois d’incertitudes, Europlasma se met d’accord avec Frank Supplisson pour reprendre l’usine de Tarbes. Cette solution semble convenir à toutes les parties : l’ancien propriétaire, qui sort par le haut d’une situation devenue inextricable, la vingtaine de salariés du site, ainsi que les pouvoirs publics. La préfecture des Hautes-Pyrénées, tout comme les ministères de l’économie et des armées, qui suivaient le dossier avec une attention particulière, ont été rassurés par les garanties apportées par la présence de Laurent Collet-Billon aux côtés d’Europlasma.
Dans sa lettre d’intention pour reprendre l’usine de Tarbes, Europlasma présente longuement Laurent Collet-Billon, membre de son conseil d’administration, en déroulant sa carrière au sein du ministère des armées. L’ancien DGA participe ensuite à des réunions avec les différentes parties prenantes. C’est notamment lui qui, d’après nos informations, élabore un programme de développement des activités industrielles, en coordination avec le « commissaire du gouvernement auprès des entreprises d’armement terrestre ».
Dans le cadre du projet de reprise, assez tôt, est aussi évoquée la possibilité que Laurent Collet-Billon se voie attribuer, comme deux autres « managers », une action dite « de préférence ». Cette participation, matérialisant son « investissement » dans le projet, permet de protéger Les Forges de Tarbes dans le cas où le capital d’Europlasma serait racheté par un fonds étranger. Dans ce cas, les propriétaires d’actions de préférence pourraient alors acquérir la totalité du capital détenu par Europlasma dans l’entreprise tarbaise. Un procès-verbal interne à l’entreprise daté du 9 avril 2022 confirme que Laurent Collet-Billon détient bien aujourd’hui une participation dans Les Forges de Tarbes, comme deux autres dirigeants de la société (Jérôme Garnache-Creuillot et Pascal Gilbert).
A-t-il, par ailleurs, été rémunéré par Europlasma pour le rôle joué dans ce rachat ? Interrogé, le groupe a refusé de nous répondre – il n’a répondu à aucune des questions que nous lui avons adressées par écrit le 2 mars.
En parallèle de ses activités de conseil, Laurent Collet-Billon préside « La Place stratégique », une association qu’il a cofondée en 2020 dans le but de « soutenir la croissance des jeunes entreprises à haut potentiel ». D’après La Lettre A, la structure est financée par Bolloré Logistics, Valeo et plusieurs piliers de l’industrie de l’armement, comme Thales, Safran et Arquus.
Mélange des genres
Les fonctions de Laurent Collet-Billon chez Europlasma – administrateur du groupe, actionnaire et administrateur des Forges de Tarbes – ne sont mentionnées dans aucune des communications du ministère des armées depuis le 22 février.
Il ne fait pourtant quasiment aucun doute que ces entreprises seront concernées par la mission « munitions » dont l’ancien DGA s’est vu confier la responsabilité. Selon nos informations, moins d’une semaine après sa nomination, le 28 février, Laurent Collet-Billon s’est rendu à Tarbes en compagnie d’un représentant du ministère des armées. Était-il présent sur site en tant que « Monsieur munitions » de Sébastien Lecornu ? En tant qu’administrateur des Forges de Tarbes ? Ou bien les deux ?
Cet étrange mélange des genres n’est en tout cas pas forcément pour déplaire au groupe industriel : le 24 février, Europlasma s’était publiquement réjoui de voir son administrateur général missionné pour « consolider l’industrie munitionnaire française ».
La mission de Laurent Collet-Billon va donc consister à émettre des recommandations et propositions qui auront, selon toute vraisemblance, pour effet final d’augmenter l’activité d’entreprises dans lesquelles il a des intérêts. Une augmentation qui ne sera sans doute pas anecdotique, étant donné le contexte.
Les obus de 155 mm, dont les Forges de Tarbes construisent une partie essentielle – le corps creux qui contient la charge explosive –, sont particulièrement stratégiques au moment où le président Macron a annoncé vouloir entrer en « économie de guerre ». Ce sont eux qui alimentent les canons Caesar, pièce maîtresse de l’artillerie française ; et les forces armées ukrainiennes, qui en ont cruellement besoin, en demandent régulièrement à Paris et à leurs autres partenaires militaires.
Le ministre des armées a d’ores et déjà annoncé qu’une partie des 413 milliards d’euros de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) seront affectés à la production de munitions : « plusieurs milliards d’euros » devraient être déboursés afin de garantir la production de « 15 000 “coups complets” [obus et charges propulsives – ndlr] par an ».
Aux milliards du budget de la défense française pourraient s’ajouter d’autres milliards, européens cette fois : les États membres de l’UE discutent en ce moment même de la possibilité d’acheter en commun des armes et des munitions, comme cela fut le cas avec les achats groupés de vaccins lors de la pandémie de Covid-19, afin de les livrer à l’Ukraine. Les États membres financent par ailleurs les livraisons d’armes à l’Ukraine via un dispositif européen nommé « Facilité européenne pour la paix ».
Une manne dont Europlasma et Les Forges de Tarbes espèrent très probablement bénéficier. Europlasma a récemment demandé – et obtenu – l’agrément du ministère des armées afin d’exporter ses corps creux utilisés dans la fabrication des obus de 155 mm.
Porosité entre public et privé rarement interrogée
Dans d’autres secteurs que l’industrie de l’armement, une situation similaire à celle de Laurent Collet-Billon aurait sans doute suscité, a minima, des questionnements au sein de l’administration. Mais dans le milieu militaire, où il est banal que de hauts gradés ou de hauts fonctionnaires du ministère des armées deviennent cadres d’entreprises de défense (et inversement), la porosité entre les sphères publiques et privées est encore rarement interrogée, quand le sujet n’est pas carrément balayé.
En 2019, lorsque la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) s’est vu confier, dans le cadre de la réforme de la fonction publique, la charge de prévenir les risques de conflits d’intérêts lors des départs d’agents du public vers le secteur privé, suppléant les missions de l’ancienne commission de déontologie de Bercy, le contrôle des militaires a été exclu de ce nouveau dispositif.
Plusieurs élu·es avaient pourtant plaidé, en vain, pour que la réforme permette aussi à la HATVP, avec son regard propre et autonome, de contrôler les carrières dans le privé du personnel du ministère des armées, et notamment des ingénieurs de l’armement. À ce jour, c’est toujours une commission de déontologie interne au ministère des armées, spécialement dédiée aux militaires, qui a pour mission de « sécuriser juridiquement le départ des militaires vers le secteur privé afin de prévenir toute situation de prise illégale d’intérêts ».
Une autre affaire illustre les « spécificités » de ce secteur. Le ministère n’a pas réagi quand, en 2021, Mediapart a révélé qu’un officier de réserve de l’armée française, détaché à l’ONU dans un département stratégique de 2016 à 2019, œuvrait en réalité secrètement pour le groupe Thales, qui l’a rémunéré. Et pour cause : l’enquête démontrait aussi qu’une partie de l’administration française avait été informée de cette opération, et qu’elle n’y avait rien trouvé à redire.
https://www.mediapart.fr/journal/france/090323/le-monsieur-munitions-du-ministre-lecornu-travaille-aussi-pour-les-industriels-du-secteur
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