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Onepoint, le cabinet de conseil a pris 9,9 % du groupe Atos. Son PDG, David Layani défend une démarche amicale et de long terme. Du côté des petits actionnaires du groupe et d’acteurs du monde de la finance, on s’interroge sur les motivations réelles de l’intéressé.
Par Régis Soubrouillard le 03.11.2023 à 16h51
Le feuilleton Atos n’en finit pas d’offrir des rebondissements. Après la démission du président de son conseil d’administration, Bertrand Meunier, c’est désormais le cabinet Onepoint qui est revenu à la charge. Dirigé par David Layani, placé à la 161e place du classement Challenges des grandes fortunes françaises, ce proche des réseaux de la macronie avait échoué à racheter les activités stratégiques du groupe en 2022. Ses partenaires, le fonds londonien ICG et une dizaine d’investisseurs lui permettaient pourtant de proposer 4,2 milliards d’euros.
Mais sa « lettre d’intérêt », préalable à l’offre en bonne et due forme, avait vite été écartée par le board d’Atos qui « n’avait pas jugé l’offre sérieuse ». Dans un portrait de David Layani publié dans Challenges, un de ses proches confiait alors qu’il avait interprété la réaction d’Atos comme « un mépris de classe, mais cela n’a fait que renforcer sa détermination ».
Un investissement perçu comme « opportuniste »
Profitant de la chute du cours d’Atos en Bourse, autour des 5 euros, l’intéressé est revenu à la charge pour acquérir 9,9 % du capital. Un investissement qui ne représente pas grand-chose pour Onepoint – mathématiquement environ 55 millions d’euros. Et surtout presque rien par rapport au chiffre de 2022.
« Nous saluons l’arrivée de Onepoint et envisageons d’entamer un dialogue constructif avec elle », a commenté la direction d’Atos. Mais selon des sources proches du dossier citées par Reuters, l’investissement est surtout perçu comme « opportuniste ».
Les petits actionnaires du groupe sont eux pour le moins « dubitatifs ». Selon nos informations, David Layani aurait informé l’Udaac (Union des actionnaires d’Atos constructifs) de son initiative avant qu’elle ne soit officielle. Mais il aurait aussi demandé aux petits porteurs de mettre fin à leurs alertes auprès de l’AMF et leurs initiatives judiciaires en arguant qu’une alliance était désormais possible entre lui, premier actionnaire d’Atos et les petits porteurs. Une demande moyennement appréciée du côté des petits actionnaires qui ne souhaitent pas mettre fin à leurs actions, dont certaines sont déjà engagées. Et ils se demandent surtout ce qui motive réellement le nouveau plus gros actionnaire du groupe.
« L’arrivée de Layani soulève autant de problèmes qu’il n’en résout »
Le dossier délicat concerne évidemment toujours la scission entre la branche Tech Foundations (infogérance) et la branche Eviden (cloud, cybersécurité, supercalculateurs) qui doit aboutir à la vente de Tech Foundations au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky et à une mise en Bourse d’Eviden, renflouée par une augmentation de capital de 900 millions d’euros.
A la demande du président du groupe d’alors, Bertrand Meunier, Daniel Kretinsky, en échange du rachat de Tech Foundations, a accepté cet été d’investir quelque 200 millions d’euros dans Eviden pour en acquérir 7,5 % du capital. Un investissement dont Daniel Kretinsky a précisé qu’il ne l’avait pas demandé, et qu’il était prêt à céder sa place en cas de difficulté.
Pour le créateur de l’Udaac – qui l’a quitté depuis – Marc Prily, qui tient un blog sur Atos : « l’arrivée de David Layani soulève autant de nouveaux problèmes qu’il n’en résout. Les frondeurs avaient du mal à s’entendre, mais ils étaient tous d’accord sur le fait qu’il fallait mettre fin à la cession de Tech Foundations. Par ailleurs, la question de l’investissement long terme de Onepoint est très nébuleuse ».
Cette potentielle entrée de l’homme d’affaires tchèque dans une branche stratégique, qui travaille aussi pour la défense française, avait, en plus, suscité une levée de boucliers, notamment d’élus LR qui menacent de lancer une commission d’enquête sur Atos mais aussi des milieux d’affaires et de fonds actionnaires. Même le ministère des Armées regardait ce dossier de près, pas hostile de la cession de Tech Foundations mais méfiant de sa montée en puissance dans Eviden.
Sanctuariser les activités de défense nationale
Une sensibilité bien perçue par David Layani qui lors de sa conférence a assuré avoir compris qu’il y a « une telle sensibilité autour des actifs stratégiques, notamment dans la défense, qu’il semble important de faire des propositions prochainement au conseil d’administration pour que ces activités soient sanctuarisées dans l’intérêt de toutes les parties, en particulier de la défense nationale », a-t-il assuré.
Interrogé, le ministère des Armées ne souhaite faire aucun commentaire à la montée en puissance de David Layani dans Atos, même si en off, certains hauts fonctionnaires s’interrogent sur l’opportunisme des arguments de l’intéressé qui met en avant la protection des actifs stratégiques.
Néanmoins, Onepoint a déjà annoncé jeudi qu’il voulait pousser la nouvelle direction d’Atos à faire réviser l’accord avec Daniel Kretinsky, qui devait être validé lors d’une assemblée générale au printemps 2024, en « libérant » l’homme d’affaires tchèque de l’obligation d’investir dans Eviden.
« On est dans une prédation »
« Il faut que la cession de Tech Foundations à Daniel Kretinsky soit plus claire. L’augmentation de capital ne doit pas servir un complément de prix », a expliqué David Layani à l’AFP. « Cette augmentation de capital, qui a créé beaucoup de frustration et d’opposition, nous devons pouvoir en libérer Daniel Kretinsky. En conséquence, les conditions financières du deal doivent être améliorées et je suis certain que le conseil d’administration d’Atos sera favorable à rouvrir les discussions « , a-t-il ajouté.
Du côté de l’entourage de Daniel Kretinsky, on se dit plutôt ouvert aux discussions dans ces conditions : « Onepoint dit qu’il est prêt à ce qu’on sorte d’Eviden si on améliore la transaction de Tech Foundations, c’est une discussion que nous sommes tout à fait prêts à avoir ».
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Mais certains observateurs sont sceptiques sur la démarche annoncée : « Onepoint n’a absolument pas les moyens de prendre le contrôle d’Atos. On est dans une prédation, c’est un démantèlement qui est en cours parce qu’on ne sait pas concrètement ce qu’il apporte. Atos est une boîte qui a des milliards d’euros de dettes et qui n’a pas de cash. Il faut au moins un milliard pour sauver Atos et il n’arrive pas du tout avec ça. A se demander si sa démarche n’est pas qu’une opération financière. En plus, il approuve la scission et il ne remet absolument pas en cause la cession à Daniel Kretinsky. Ce n’est pas avec 10 % qu’il va changer la donne ».
Layani a-t-il les moyens de ses ambitions ?
David Layani assure, de son côté, qu’il en a encore « sous le pied » du point de vue financier pour les prochaines étapes, et qu’il est là pour longtemps. Pourrait-il aller jusqu’au rachat d’Eviden la branche stratégique d’Atos ?
« L’idée est d’accompagner la réorganisation de l’entreprise, c’est à ce moment-là que l’on pourra se poser d’autres questions. C’est un peu prématuré à ce stade de parler d’OPA ou d’acquisition », a-t-il répondu à l’AFP expliquant d’abord vouloir « sortir Atos de l’impasse ».
Un objectif loin d’être simple à atteindre selon un connaisseur du dossier : « Prendre 10 % du capital d’Atos en investissant de l’ordre 50 millions d’euros n’est pas un pari risqué mais le plus difficile reste à faire. Il y a beaucoup de dossiers qui vont devoir être traités et il lui faudra une garde rapprochée à la hauteur des enjeux technologiques, judiciaires, financiers et politiques à venir. Car les problèmes auxquels est confronté le groupe Atos demeurent entiers. Il faudra revoir la structure bilancielle du groupe, définir une nouvelle stratégie et la mettre en œuvre. Reste à savoir s’il a les moyens de ses ambitions ou si cela se limite à une opération financière ».
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