Coup d’Etat au sommet d’Unibail, le géant des centres commerciaux (LIBERATION)

Les «activistes» Léon Bressler, Xavier Niel et Susana Gallardo, qui s’opposaient au projet d’entreprise de la direction, ont été suivis par les actionnaires. Ils entrent au conseil de surveillance et se retrouvent en position de force.

par Jérôme Lefilliâtre

publié le 10 novembre 2020 à 11h33.
C’était un putsch programmé, une révolution de palais assumée. Et le coup d’Etat s’est déroulé sans accroc. Dans la bataille qui se jouait depuis plusieurs semaines autour du groupe d’immobilier commercial Unibail-Rodamco-Westfield, membre du CAC 40, les actionnaires «activistes» ont transformé, malgré une participation très minoritaire au capital (5%), leur fronde en une victoire saisissante. Une rareté dans le monde de la «démocratie» des entreprises cotées en Bourse, où les directions règnent habituellement sans contre-pouvoirs.

Le projet de celle d’Unibail de procéder à une augmentation de capital de 3,5 milliards d’euros pour désendetter la société, contesté par le trio de rebelles, n’a pas recueilli l’assentiment suffisant (deux tiers des voix) de la part de l’ensemble des actionnaires, qui étaient appelés à voter dans le cadre d’une assemblée générale prévue ce mardi. En revanche, les actionnaires ont approuvé, contre l’avis du directeur général d’Unibail Christophe Cuvillier, l’entrée au conseil de surveillance de Bressler, ex-patron de la boîte (1992-2006), Niel, fondateur bien connu de Free, et Gallardo, milliardaire espagnole et épouse de l’ancien Premier ministre Manuel Valls.

Une trop lourde dette

C’est donc une victoire totale pour le trio, qui pourrait aboutir, dans les jours à venir, au renversement de Cuvillier. Les relations entre les deux camps ont viré à l’orage pendant la campagne qui a précédé l’assemblée générale. «Le groupe a besoin de sang neuf pour mieux fonctionner», avait lâché Xavier Niel. Le directeur général d’Unibail, Christophe Cuvillier, déclare lui ce mardi «prendre acte» des résultats du vote et annonce une réunion à venir du conseil de surveillance remanié. Au sein de celui-ci, les frondeurs ne seront certes pas majoritaires mais ils pourront revendiquer de représenter la volonté des actionnaires. Ce qui doit les placer en position de force pour décider de la stratégie et de l’identité du management pour piloter, à l’avenir, la foncière gérant 90 centres commerciaux dans le monde, dont ceux des Halles et de la Défense à Paris et de la Part-Dieu à Lyon.

Bressler, Niel et Gallardo sont partis à l’assaut d’Unibail pour s’opposer au plan «Reset» présenté par Cuvillier en septembre. Ce projet d’entreprise prévoyait de dégager rapidement 9 milliards d’euros de cash, notamment par des cessions d’actifs en Europe à hauteur de 4 milliards, par des annulations d’investissements pour 1 milliard et par une augmentation de capital de 3,5 milliards d’euros. Le fond du problème d’Unibail est la taille de sa dette, d’environ 26 milliards d’euros, devenue trop lourde à porter en raison de la réduction de l’activité causée par les restrictions sanitaires. «Notre niveau d’endettement est trop élevé», a redit ce mardi Cuvillier, en ouverture de l’assemblée générale. Avec son plan, le directeur, qui pointe l’effet du Covid-19 sur la santé de la boîte, voulait se donner de l’air. C’est raté.

L’erreur américaine

Le point le plus critiqué de son plan était l’augmentation de capital de 3,5 milliards d’euros. Vendre de nouvelles actions du groupe, au moment où la crise économique a mis à terre la valeur du titre en Bourse, était une idée jugée désastreuse par le trio de renégats. «C’est un non-sens, souffle un de leurs proches. Cela produirait une dilution épouvantable des actionnaires actuels et ce n’est pas nécessaire car l’entreprise a 12 milliards d’euros de liquidités.» Bressler, Niel et Gallardo arguent qu’il ne faut pas se presser, et plutôt céder des actifs sur le marché américain pour se concentrer sur l’Europe, le berceau d’Unibail.

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Surtout, ils mettent en avant la responsabilité du manager, nommé en 2013, dans la situation économique d’Unibail, qui ne tient pas seulement à la pandémie selon eux. L’action de l’entreprise n’a pas attendu le Covid pour chuter : elle naviguait autour de 130 euros avant le mois de mars, contre 250 euros il y a cinq ans. Pour le trio, c’est le rachat fin 2017, pour 25 milliards de dollars, du groupe australien Westfield, très présent aux Etats-Unis, qui a plombé l’entreprise. Il n’a pas produit les résultats espérés. «Une destruction de valeur inédite, le plus gros accident industriel français, un cas d’école pour les étudiants», avait tapé Léon Bressler pendant sa campagne. «C’était une erreur, commente plus calmement un proche du trio. Il ne faut pas persévérer dans l’erreur, il faut recadrer la stratégie et remettre de l’ordre dans la maison.»

Face à une telle défaite, Christophe Cuvillier a essayé de faire bonne figure lors de l’assemblée générale à huis clos qu’il lui a fallu malgré tout animer ce mardi. Celui qui est encore le patron d’Unibail s’est même montré optimiste après l’annonce par le laboratoire Pfizer de très bons résultats sur son vaccin contre le Covid-19. «C’est une excellente nouvelle, dont nous nous réjouissons. Elle aurait un impact positif sur l’immobilier de commerce en général et sur Unibail-Rodamco-Westfield en particulier.» Elle ne devrait cependant pas suffire à sauver sa tête.

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