Déjouez les pièges des « covenants » bancaires (L’express)

Les contrats de prêts bancaires contiennent souvent des clauses appelées covenants, qui si elles ne sont pas respectées peuvent entraîner le remboursement anticipé de l’emprunt. De quoi s’agit-il ? Votre entreprise est-elle concernée ? Explications et conseils.

Un chef d’entreprise qui obtient le crédit qu’il a demandé est généralement tellement heureux d’avoir eu gain de cause – a fortiori s’il a réussi à négocier des conditions intéressantes – qu’il ne se préoccupe pas de lire dans les détails le contrat qu’il signe. Mais attention ! Il est de plus en plus fréquent que les contrats de prêt standards des banques contiennent des clauses qui peuvent sembler inoffensives à première vue, mais qui sont susceptibles de se transformer en bombes à retardement.

Ces clauses sont désignées par le terme anglais de « covenants ». Compte tenu de l’importance que revêtent aujourd’hui les covenants dans la vie des entreprises, tout dirigeant doit connaître les risques encourus par sa société si celle-ci est soumise à des clauses de ce type. Avec deux objectifs : sur un plan défensif, faire face aux menaces relatives aux covenants présents dans les contrats de prêt en cours ; et de manière préventive, limiter les dangers lors des futures négociations de crédits. Tout ce que vous devez savoir, grâce à l’expertise de Sophie Moreau-Garenne, managing director chez Duff & Phelps.

1- Familiarisez-vous avec les covenants

Qu’est-ce qu’un covenant bancaire ? Il s’agit d’une clause insérée dans un contrat de crédit (de toute durée) conclu entre une banque et une entreprise, qui oblige cette dernière à respecter certaines règles. Il existe deux grands types de covenants. Première catégorie : les covenants qui contraignent la société à respecter des ratios financiers au moment de la clôture annuelle de ses comptes. Pour la banque, inclure ces ratios dans le contrat de prêt, c’est se donner les moyens de vérifier que l’entreprise à qui elle prête de l’argent à un moment donné continuera, sur toute la durée du crédit, d’avoir une structure financière et une rentabilité qui lui permettront de rembourser ses échéances.

Les ratios utilisés varient d’une banque à l’autre. Il est impossible de les lister tous. L’encadré page 105 présente quelques covenants financiers très courants. Les seuils ou les plafonds précisés dans les contrats peuvent différer selon les banques. Mais dans l’ensemble, ces derniers temps, celles-ci ont eu tendance à durcir leurs exigences.

Deuxième catégorie de covenants : les clauses obligeant les dirigeants de l’entreprise à tenir la banque informée des modifications de structure juridique ou d’actionnariat de la société, ou de ses nouveaux projets stratégiques… Dans certains cas, les covenants en question se contentent de fixer une obligation d’information du banquier ; dans d’autres cas, ils vont jusqu’à contraindre les dirigeants à recueillir l’accord de ce dernier avant de procéder à l’opération envisagée. Il est courant, par exemple, qu’une clause interdise à la société d’emprunter auprès d’autres établissements de crédit sans l’accord de la banque signataire du contrat.

Pourquoi les banquiers insèrent-ils ce type de covenants dans leurs conventions ? Pour une raison simple : ils veulent être informés des changements importants qui affectent la vie de l’entreprise à laquelle ils ont prêté, aussi longtemps que celle-ci n’a pas fini de les rembourser. Toujours avec le même objectif – le seul qui importe pour un créancier : se prémunir contre les impayés !

2 – Prenez conscience de leurs dangers

En cas de non-respect d’un covenant, quel qu’il soit, la sanction prévue est extrêmement lourde : il est toujours stipulé dans le contrat que l’entreprise aura alors à régler immédiatement l’intégralité du montant de l’emprunt restant dû. On imagine facilement les problèmes que cette exigibilité immédiate peut poser à une société qui pensait disposer encore, pour rembourser son crédit, d’une période de deux, trois, quatre ou cinq ans (voire davantage), et qui se trouve dans l’obligation de régler d’un coup une énorme somme d’argent !

Dans les faits, il est rare que la banque applique cette sanction. En effet, le banquier sait bien qu’en mettant l’entreprise en demeure de le rembourser sur- le-champ, il risque fort de la précipiter dans la cessation de paiements, laquelle a huit ou neuf chances sur dix d’aboutir (à court ou moyen terme) à une liquidation judiciaire. Et il sait aussi à quel point, dans le cadre d’une liquidation, la probabilité pour la banque de récupérer ses billes est faible. C’est pourquoi la banque ne déclenche l’exigibilité immédiate du solde restant dû que lorsque la rupture des covenants s’accompagne d’autres signaux d’alerte donnant à penser que l’entreprise se trouve, de toute façon, au bord du dépôt de bilan.

Si ce n’est pas le cas, le responsable bancaire va préférer utiliser le non-respect des covenants comme moyen de pression sur les dirigeants de la société. Comment ? En expliquant à ces derniers que la banque pourrait les obliger à rembourser la totalité de l’emprunt restant dû, mais qu’elle y renoncera moyennant certains efforts de leur part… En pratique, l’entreprise se voit très souvent contrainte d’accepter une augmentation du coût de ses crédits. Très fréquemment aussi, la banque lui facture des frais pour temps passé en renégociations.

Risque d’intervention du banquier

Dans le cas où la société a rompu un covenant financier, le responsable bancaire peut exiger des dirigeants qu’ils prennent très vite des mesures : blocage de tous les investissements, cessions d’actifs, fermeture d’usines ou de magasins, licenciements… Du jour au lendemain, par l’intermédiaire de clauses que le chef d’entreprise a signées sans y prêter attention, le banquier obtient le pouvoir d’intervenir dans ses prises de décision. Un revirement de situation vécu comme un traumatisme… Pour éviter d’en arriver là, il faut prendre des mesures concernant aussi bien les contrats de prêt en cours de remboursement que les futures négociations de crédits.

3 – Crédits en cours : anticipez les périls

Comment limiter vos risques sur les emprunts en cours ? Pour commencer, passez en revue tous vos contrats bancaires et lisez-les attentivement afin de voir s’ils contiennent ou non des covenants. Une fois que vous les aurez mis en évidence, étudiez soigneusement la façon dont ils sont rédigés. Puis, avec l’aide d’un conseil extérieur à l’entreprise (expert-comptable, spécialiste financier, avocat…), évaluez les risques que vous encourez aujourd’hui et dans les mois qui viennent.

Gérer, c’est prévoir

Si cette analyse montre que votre société a de fortes probabilités de rompre l’un de ses covenants (ou plusieurs), n’hésitez pas : anticipez ! Demandez à votre banquier un rendez-vous dans les plus brefs délais. Cette initiative le mettra dans de bonnes dispositions, car il y verra la preuve de vos capacités de gestionnaire – « gérer, c’est prévoir » – et de votre volonté de transparence à son égard. Au cours de cet entretien, vous lui expliquerez que votre entreprise ne sera pas en mesure de respecter tel ou tel covenant à la prochaine échéance (par exemple, au 31 décembre prochain, si votre exercice comptable est calé sur l’année civile).

Vous exposerez au banquier les raisons de ce manquement, et, point capital, les mesures que vous avez déjà prises et que vous allez prendre pour redresser la situation : actions d’amélioration de la trésorerie, de réduction des dettes, de renforcement des fonds propres… Votre argumentaire doit s’appuyer sur un business plan complet et réaliste, dont vous commenterez les principaux points lors du rendez-vous, et que vous laisserez à votre banquier en partant. Précision importante : les prévisions de trésorerie incluses dans votre business plan devront renseigner votre interlocuteur sur la capacité de votre entreprise à honorer ses prochaines échéances de crédit.

Si vous doutez de pouvoir respecter un covenant dans trois semaines ou dans deux mois, mais que vous ne prévoyiez aucune difficulté de remboursement à un horizon de six à douze mois, votre responsable bancaire tendra à se montrer compréhensif. En revanche, une rupture de covenants qui s’accompagnerait d’un problème de remboursement de crédits aurait pour effet de rendre votre banquier très nerveux…

Si vous êtes dans ce cas de figure, vous devez prendre des mesures d’assainissement de votre situation financière d’une portée telle que vous puissiez à nouveau très vite honorer vos échéances de crédit. Et il vous faudra non seulement mettre ce plan de redressement en oeuvre, mais aussi convaincre votre banquier de sa pertinence. A défaut, celui-ci prendra en partie la main, selon le mécanisme décrit plus haut…

4 – Nouveaux emprunts : limitez les risques

Dans l’avenir, quand vous solliciterez de nouveaux prêts, accordez autant d’attention aux covenants prévus par les banques qu’aux taux proposés. Sachez-le : les établissements financiers tendent à présenter à leurs clients des contrats standards, incluant des covenants identiques pour une catégorie donnée de sociétés. Mais, comme les autres conditions appliquées aux entreprises (taux, commissions, garanties, etc.), les covenants sont négociables. Bonne nouvelle ! Cela signifie que lorsque vous aurez besoin d’un crédit, vous pourrez faire jouer la concurrence entre banques non seulement en termes de tarifs, mais aussi d’obligations contractuelles.

A cet effet, l’idéal est de vous faire conseiller par un expert doté d’une clientèle d’entreprises suffisamment large et diversifiée pour avoir une bonne vision de ce que votre société peut espérer négocier. Par exemple, le remplacement d’un ratio qui vous semble difficilement tenable par un autre plus réaliste ; ou la mutation de l’obligation d’obtenir un accord de la banque avant de procéder à une opération importante en une simple obligation d’information ; voire, si la chance est avec vous, la suppression pure et simple d’un covenant qui vous gêne !

Quelques covenants financiers à la mode

Les contrats de prêts bancaires incluent souvent un ou plusieurs des ratios ci-dessous. Selon les cas, la valeur du ratio doit être supérieure à un certain plancher ou inférieure à un certain plafond, précisé dans le contrat.

– Ratio « dette financière nette (1) / fonds propres »

– Ratio « dette financière nette (1) / excédent brut d’exploitation (2) »

– Ratio « frais financiers (3) / excédent brut d’exploitation (2) »

– Ratio de couverture des frais financiers : « résultat d’exploitation / frais financiers (3) »

– Ratio de couverture du service de la dette : « cash-flow net (4) / frais financiers (3) ».

– Ratio de levier : « dette financière nette (1) / résultat d’exploitation »

(1) Dette financière nette = dette à moyen et long terme + encours d’affacturage + crédits baux + concours à court terme + comptes courants d’associés bloqués – disponibilités et valeurs mobilières de placement. (2) Excédent brut d’exploitation = résultat d’exploitation +/- dotations nettes aux amortissements et provisions d’exploitation. (3) Frais financiers = produits financiers – charges financières hors impact des effets de change et des mouvements de provisions financières. (4) Cash-flow net = résultat net + dotations nettes aux amortissements et aux provisions sur actifs immobilisés – variation du besoin en fonds de roulement.

Avant fin décembre…

… Agissez !