L’offre d’acquisition dévoilée par Onepoint pour les activités de cybersécurité du groupe accélère le dossier. Thales et Orange sont à l’affût.
Plus petit que ses rivaux potentiels sur ce dossier, David Layani savait qu’il devait tirer le premier pour prendre un temps d’avance. Le fondateur de la société de conseil en technologies Onepoint a dévoilé, mardi 27 septembre, son intention d’acheter à Atos sa division de cybersécurité, baptisée « Evidian », en cours de séparation du reste du groupe.
La proposition, d’une valeur de 4,2 milliards d’euros, a été rapidement balayée. « Pas dans l’intérêt de la société », a jugé le conseil d’administration, étonné par le culot de ce prétendant de 43 ans. Parti de rien il y a vingt ans, David Layani a multiplié les acquisitions pour faire de son groupe une référence française dans le conseil en technologies. « Mais, en visant Evidian, c’est la grenouille qui veut se faire plus grosse que[du 27 septembre] le bœuf », critique un proche d’Atos. Onepoint réalise 400 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, douze fois moins qu’Evidian. Le financement de l’opération, élaboré par Grégoire Heuzé, un ancien banquier de Lazard, et le Crédit agricole, avec le soutien du fonds d’investissement britannique ICG, ne convainc pas.
Orange et Thales surveillent Atos de près, sous l’œil bienveillant de l’Etat, actionnaire des deux groupes, soucieux que ses activités de cyber restent sous pavillon français
La mise en examen de David Layani pour « complicité de subornation de témoin » dans un des volets du dossier des soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, en 2007, a aussi pesé dans la décision d’Atos. David Layani, qui n’a pas fait de commentaires au Monde, a toujours démenti toute malversation dans cette affaire. Et il est bien déterminé à ce qu’elle ne bloque pas ses ambitions sur Evidian. « La proposition [du 27 septembre] n’était que le premier coup. Il y en aura d’autres », promet un proche du dirigeant.
De nouvelles vocations
Mais Onepoint ne sera probablement plus seul. Son irruption a réveillé d’autres intérêts. Depuis des mois, Orange et Thales surveillent Atos de près, sous l’œil bienveillant de l’Etat, actionnaire des deux groupes, soucieux que ses activités de cyber restent sous pavillon français. Evidian est, par exemple, l’un des rares fabricants mondiaux de supercalculateurs, activité héritée du rachat de Bull par Atos, en 2014. Ni Orange ni Thales ne souhaitent commenter officiellement leur appétit pour Evidian.
Le 27 septembre, Aliette Mousnier-Lompré, la dirigeante d’Orange Business Services, a simplement reconnu, lors d’une conférence, que l’opérateur « regarde toutes les opportunités » avec « l’intention d’être actif » pour s’imposer comme le leader européen dans ce métier. Chez Thales, le PDG, Patrice Caine, conseillé par le banquier Matthieu Pigasse (actionnaire indirect du Monde), ronge son frein. «Thales ne se lancera que si Evidian est officiellement à vendre. Ce dossier ne va pas pouvoir rester en l’état très longtemps », explique un proche du groupe de défense.
Même les activités historiques d’Atos dans l’infogérance (gestion des postes informatiques, data center…), pourtant moins en vogue, font naître de nouvelles vocations. Plusieurs sources ont évoqué au Monde l’intérêt de l’homme d’affaires tchèque Daniel Kretinsky (actionnaire indirect du Monde). Ce dernier a d’ailleurs rencontré il y a quelques mois Bertrand Meunier, le président d’Atos. Mais son porte-parole a assuré, lundi 3 octobre, que « ni M. Kretinsky, ni aucune de ses sociétés ne sont intéressés par ces actifs » et qu’ils « n’ont pas acheté la moindre action Atos ».
« Mettre les bouchées doubles »
Remaniée depuis le départ soudain de Rodophe Belmer en juin à la suite d’un désaccord avec son conseil d’administration, la direction d’Atos reste sourde à ce vacarme et à la pression de plusieurs actionnaires minoritaires, notamment les fonds Sycomore et Sparta, qui réclament depuis plusieurs semaines la démission de Bertrand Meunier, jugé comme premier responsable de la descente aux enfers d’Atos. Depuis son arrivée à la présidence, en novembre 2019, le groupe a enchaîné problèmes comptables, revirements stratégiques, changements de direction, pertes financières, pour finir par imploser : en juin, le conseil d’administration a décidé de couper Atos en deux sociétés distinctes.
« Les marques d’intérêt ne font que confirmer le caractère essentiel d’Atos et les compétences des collaborateurs », insiste Diane Galbe qui, après avoir mené la bataille chez Suez contre l’OPA hostile de Veolia, a rejoint Atos en mars pour diriger la séparation de ses activités. Les nouveaux dirigeants espèrent aboutir mi-2023. Le financement de l’opération a été sécurisé cet été et le processus d’information-consultation des 45 000 salariés européens d’Atos lancé le 7 septembre.
Selon Philippe Oliva, à la tête d’Evidian, les premiers retours des salariés sont positifs : « Ce plan leur donne de la clarté. » Dans le même temps, ajoute Nourdine Bihmane, chargé des activités historiques du groupe d’informatique, il faut « mettre les bouchées doubles sur l’opérationnel : nous signons de nouveaux contrats, travaillons à des cessions d’actifs. Cela va commencer à se voir progressivement dans nos résultats financiers ».
La transformation est acrobatique et sans filet, après un plongeon de 95 % de l’action Atos depuis le début de l’année. Et ils sont nombreux à guetter le moindre faux pas pour remporter les activités désirées.
https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/10/06/les-predateurs-rodent-autour-d-atos_6144659_3234.html