Attention à ne pas confondre avec feu la revue française l’Expansion, cet interview a été réalisé par la respactable revue espagnole EXPANSIÓN. Il s’agit d’une interview exclusive de Nourdine Bihmane, dont le journaliste a été reçu par Bihmane à Madrid dans les bureaux madrilènes d’Atos. Je tombe un peu des nues que nommé DG, Bihmane n’ait pas été contraint de venir prendre place au siège social de Bezons. Je pensais pas que le télétravail c’était aussi pour les DG… Mais c’est une autre histoire…
Traduction réalisée par Map, le 01/04/2023 à 19h00.
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JAVIER G. FERNÁNDEZ –
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Le nouveau DG de l’ESN française a devant lui le défi de renflouer une entreprise qui traverse des heures difficiles et embarquée dans une restructuration interne complexe.
Nourdine Bihmane, DG d’Atos , reçoit EXPANSIÓN dans une salle austère d’un complexe de bureaux à Madrid. L’entreprise déménage – cet immeuble appartient à l’un des groupes qu’Atos vient d’absorber (ndlr: ???) – et à ce moment-là, il n’y a qu’une poignée d’employés qui y travaillent. Dans quelques semaines, il sera vide et ces professionnels déménageront dans un siège proche, mieux équipé et plus grand.
Cette scène sert à résumer les dernières années du groupe français. Un géant européen du logiciel, aux revenus de plus de 11Md€, peine à relancer son activité et à digérer les multiples acquisitions qu’il a réalisées ces dernières années. Son dernier achat était celui de l’américain Syntel en 2018 pour 3,4 milliards d’euros.
« Atos est un groupe qui s’est développé de manière non-organique avec de nombreuses acquisitions. Cela nous a permis d’avoir une dimension mondiale, en 20 ans nous sommes passés de 5 000 à plus de 112 000 salariés, mais en même temps cela a donné naissance à une très grande structure, complexe et difficile à comprendre pour nos client », explique Bihmane, d’origine marocaine et résidant Madrilène, dans un espagnol parfait.
Les investisseurs ne semblent pas non plus comprendre le management de l’entreprise. Au cours de la dernière année, Atos a perdu la moitié de sa valeur en bourse. Et si l’on tient compte des cinq dernières années, la diminution est de 90 %. Rien qu’en 2022, le groupe informatique français a enregistré un RN en perte de plus de 1 milliard d’euros. Un an plus tôt, les pertes étaient même de presque 3 milliard d’euros.
Pour stopper cette hémorragie, Atos a annoncé au milieu de l’année dernière un projet de scission de l’entreprise en deux entités totalement indépendantes. D’un côté, il y aurait un nouvel Atos , qui regrouperait les métiers à plus faible marge, comme les infrastructures managées; et d’autre part Evidian , qui serait en charge des secteurs les plus dynamiques tels que la transformation numérique, le big data et la cybersécurité.
Chacune des sociétés sera cotée de manière indépendante et aura sa propre feuille de route et une équipe de direction dédiée. L’agenda est que la scission soit achevée, au plus tôt, d’ici la mi-2023, d’après Atos.
C’est une stratégie similaire à celle suivie par IBM , qui en 2020 a décidé de séparer ses opérations de services gérés d’infrastructure technologique dans une nouvelle société Kyndryl, pour se concentrer sur l’activité de cloud hybride la plus lucrative.
Troisième PDG en un an
« New Atos » sera dirigé par Bihmane, qui, fort d’une carrière de plus de 20 ans dans l’entreprise, sera chargé de renflouer une entreprise qui a été cannibalisée par les grands fournisseurs de cloud, comme AWS, Microsoft ou Google, sans que Atos ait pu réagir à temps.
« Nous avons vécu la révolution du cloud et Atos n’a pas pris toutes les décisions nécessaires au bon moment pour s’adapter et modifier son portefeuille « , reconnaît Bihmane, le quatrième PDG de la multinationale française depuis 2019 et le troisième en seulement douze mois.
« Avant, nous avions 100 % de l’informatique du client gérée par nous dans les centres de données . Mais une grande partie de ces charges de travail est allée vers le cloud public. L’un des premiers paradigmes que je voulais changer était celui d’être victime d’hyperscalers (AWS, Azure et Google Cloud) et d’essayer d’adopter une logique différente: au lieu de laisser la situation en l’état et d’être passif, on va voir les choses d’une manière différente, voir quels services complémentaires on peut mettre autour des hyperscalers » , explique Bihmane.
Ainsi, au lieu d’essayer de combattre les géants du cloud, le pari audacieux de Bihmane, c’est de collaborer avec eux. En novembre de l’année dernière, il a annoncé un partenariat stratégique avec Amazon Web Services (AWS), le Leader de l’industrie du cloud computing.
Ainsi, AWS sera le partenaire privilégié des clients d’Atos qui choisissent de migrer vers le cloud public, se plaçant en position stratégique pour offrir une offre de service dédiée à valeur ajoutée avec des clients soucieux de la sécurité ou de la souveraineté des données, comme les banques ou les sociétés dans le domaine de la santé.
En échange, de devenir prestataire AWS et mettre en avant l’offre AWS, par rapport à Azure ou Google Cloud; AWS certifiera les employés d’Atos et pourra utiliser les centres de données du groupe – Atos en compte 111 répartis dans 43 pays – qui ont été notablement sous-utilisés ces dernières années. L’entreprise a mis en place un plan de rationalisation pour se débarrasser de ces centres de données, environ 40, qu’elle ne considère pas stratégiques.
« Avoir des actifs qui permettent de conserver les données dans chaque zone géographique, de respecter les lois et d’être exploités par des personnes de la bonne nationalité dans chaque pays, est un avantage, pas un problème. Le problème était qu’avec toutes les applications qui vont dans le cloud , nous nous sommes retrouvés avec certains centres de données qui étaient sous-utilisés », explique le PDG d’Atos.
Afin de repositionner Atos en position de force sur son marché, la société a prévu d’investir un total de 1.1Md€ (dont une partie déjà dépensée) qui sera réalisé soit par endettement soit avec la vente de 30% d’Evidian, dans un plan de scission qui comprend également la sortie d’activités non stratégiques ou en perte de vitesse et la résiliation des contrats à pertes.
Pour réduire ses coûts, l’entreprise prévoit de se réduire sa masse salariale jusqu’à 7 500 employés en moins en Europe, soit 16 % de ses effectifs. Pour la plupart, on s’attend à ce qu’il s’agisse de plans sociaux et de départs volontaires. En Espagne, la réduction d’effectifs sera moindre, dit Bihmane, sans donner de chiffres précis.
En 2022, le partie dite « New Atos » a réalisé un chiffre d’affaires de 6 026 millions d’euros , soit 1,6 % de moins que l’année précédente. En outre, il a clôturé avec un RN positif de 79 millions, atteignant la rentabilité trois ans plus tôt que prévu dans le plan « Capital Market day » présenté l’année dernière, souligne Bihmane.
« Cela nous aide à avoir beaucoup plus confiance en l’avenir. Nous voulons restaurer la confiance avec les clients et leur montrer que nous investissons activement dans notre portefeuille d’activité historique et que l’activité historique d’Atos est loin d’être morte », conclut-il.