Le changement à la tête d’Atos laisse actionnaires et salariés dans l’expectative [L’USINE NOUVELLE]

Après la désignation d’un directeur général, Atos se dote d’un nouveau président du conseil d’administration. Un changement qui interroge les actionnaires et salariés sur la stratégie de transformation du groupe. L’avenir du projet de cession de l’activité Tech Foundations à Daniel Kretinsky est en jeu.

Atos boucle l’étape finale du renouvellement de sa gouvernance. Le groupe français de services du numérique, qui compte 110 000 salariés dans le monde, dont environ 10 000 en France, et affiche un chiffre d’affaires de 11,3 milliards d’euros en 2022, a officialisé le 16 octobre la démission de Bertrand Meunier, président du conseil d’administration depuis 2019, et son remplacement par Jean-Pierre Mustier, administrateur depuis mai 2023. Ce changement intervient après la désignation le 4 octobre dernier d’Yves Bernaert, l’ancien patron de la branche européenne d’Accenture, au poste de directeur général, laissé vacant par le départ précipité en juillet 2022 de Rodolphe Bellmer pour cause de désaccords avec le président Bertrand Meunier sur les arbitrages stratégiques.

Atos dispose maintenant à sa tête d’un nouveau duo aux compétences complémentaires : un professionnel du numérique au poste de directeur général et un banquier aux commandes du conseil d’administration. Ce changement a été bien accueilli en bourse, comme en témoigne le gain de 6 % du cours de l’action le jour de l’annonce.

Plombé par son activité historique d’infogérance à cause de la migration des clients vers le cloud, Atos est plongé depuis trois ans dans une crise sans fin qui lui a fait perdre plus de 90% de sa valeur en Bourse. A ces difficultés économiques et financières s’ajoutent des problèmes de gouvernance. Bertrand Meunier cristallise les critiques d’actionnaires activistes qui le jugent responsable de tous les maux du groupe et ont réclamé son départ. Sa position est devenue intenable depuis qu’il fait l’objet de deux plaintes : l’une du fonds de gestion d’actifs CIAM pour diffusion d’informations fausses ou trompeuses, l’autre du fonds Alix AM pour corruption passive et active.

Volte-face dans la stratégie

«Nous nous félicitons de son départ, confie à L’Usine Nouvelle un porte-parole de CIAM. Mais nous restons prudents car Jean-Pierre Mustier a toujours soutenu les choix stratégiques de Bertrand Meunier. Nous continuons à demander l’abandon de ce projet contraire aux intérêts de l’entreprise et de ses actionnaires. Notre plainte contre Bertrand Meunier et contre X est maintenue.»

En août dernier, Atos a annoncé des discussions exclusives avec EPEI, le groupe de l’homme d’affaires tchèque Daniel Kretinsky, pour lui vendre Tech Foundations, la division qui regroupe les activités historiques d’infogérance. L’objectif est de se recentrer ensuite sur Eviden, l’autre division formée par les activités porteuses dans le digital, la cybersécurité et le calcul intensif. Ce projet marque une volte-face par rapport au plan initial, annoncé en juin 2022, qui prévoyait l’introduction en Bourse d’Eviden et le recentrage d’Atos sur Tech Foundations. Les actionnaires contestataires dénoncent des conditions opaques qui cachent «un prix négatif» de vente.

Concomitant à l’annonce du changement du président du conseil d’administration, Atos a publié un document de 11 pages détaillant les conditions financières de la transaction envisagée avec EPFI. CIAM prend acte de cet exercice de clarté et de transparence, considéré comme obligatoire pour une entreprise cotée en Bourse. «Cela confirme ce que nous voyions comme un cadeau fait à Daniel Kretinsky, à savoir le transfert de 1 milliard d’euros de besoin de fonds de roulement d’Eviden, note le porte-parole du fonds. C’est pourquoi nous continuons à nous opposer au projet de vente

Discussions compliquées avec Daniel Kretinsky

La nouvelle direction semble s’en tenir à la feuille de Bertrand Meunier. Mais la finalisation du projet de cession de Tech Foundations, prévue au départ avant la fin de l’année 2023, est reportée au deuxième trimestre 2024. C’est peut-être le signe que les discussions sur les derniers détails de la transaction sont compliquées. Rien ne garantit qu’elles aboutissent à un accord. En cas d’échec, la direction prévoit de faire appel aux banques pour tenir ses échéances de remboursement de dette à partir de 2025. C’est l’alternative, combinée ou non à une augmentation de capital, qui est défendue par des actionnaires protestataires comme CIAM. De son coté, Daniel Kretinsky s’impatiente. Offusqué par les critiques faisant de lui un prédateur «étranger», il serait, selon des rumeurs, tenté de jeter l’éponge et de se retirer des discussions.

Contacté par L’Usine Nouvelle pour un entretien avec Jean-Pierre Mustier, Atos a décliné la demande. Le changement de gouvernance laisse-t-il la porte ouverte à des options alternatives à la vente de Tech Foundations à Daniel Kretinsky, présentée aujourd’hui comme «la voie la plus réalisable pour la concrétisation de la séparation de Tech Foundations et d’Eviden et pour améliorer le profil de risque du groupe Atos»? Le nouvel homme fort du groupe se montre en tout cas ouverts aux discussions. Il a adressé un courrier aux tros actionnaires contestataires, l’Udaac, CIAM et Alix AM, en se disant prêt à les rencontrer et à écouter leurs propositions, et que si celles-ci devaient s’avérer raisonnables et financées, le conseil d’administration les étudierait.

Y-a-t’il un pilote dans l’avion?

Les salariés sont dans l’expectative. En trois ans, ils ont eu droit à plusieurs revirement stratégiques, allant du projet avorté de rachat de DXC Technology, un mastodonte américain des services numériques, à celui de la cession de Tech Foundations, en passant par la scission du groupe en deux sociétés ou encore de la possibilité de prise de participation d’Airbus dans Eviden. «La nouvelle direction continue à travailler sur son projet de cession de Tech Foundations contre vents et marées, témoigne à L’Usine Nouvelle Remi Clarac, délégué central CFE-CGC. Cela ne rassure personne en interne. Les salariés se demandent toujours s’il y a un pilote dans l’avion.»

Le détourage des activités de Tech Foundations et Eviden a été bouclé en juin 2023 et les salariés ont reçu leur affectation à l’une ou l’autre des deux entités. Des contrats sont prévus pour garantir la continuité des liens d’affaires entre les deux sociétés une fois leur séparation actée. Cette précaution n’empêche pas les salariés de se demander si le détourage d’activité a été bien fait et si les relations futures seront aussi bénéfiques qu’aujourd’hui. «Nous tenons à ce que le partage d’activités entre Tech Foundations et Eviden soit équitable pour les deux entités, souligne à L’Usine Nouvelle Alia Iassamen, déléguée CFDT, le syndicat majoritaire chez Atos. Nous craignons que le deal avec Daniel Kretinsky vienne pénaliser Eviden. Nous sommes opposés à toute vente par appartement qui affaiblirait Eviden. Notre priorité est aussi de préserver l’emploi. » Le plan de la direction prévoit en effet la cession de 400 millions d’euros d’actifs d’Eviden. En ligne de mire figure la pépite BDS, l’activité big data et sécurité. Une option qui soulève de fortes oppositions en interne et qui ne serait pas étrangère au limogeage de Jean-Philippe Poirault, le patron de BDS, et au départ de Philippe Oliva, le directeur général d’Eviden.

Que pensent les clients des tribulations d’Atos ? A en croire Remi Clarac, ils restent fidèles et le groupe en gagne même de nouveaux. «Ils reconnaissent la valeur du travail des collaborateurs d’Atos, affirme-t-il. C’est la seule chose réconfortante dans le contexte actuel

L’Etat interpellé

Le projet de cession de Tech Foudations sera proposé en consultation au comité économique et social (CES) européen du groupe à Prague, en République tchèque, la semaine prochaine. La consultation du CES central en France est en cours. Les élus attendent le rapport d’expertise sur les impacts économiques et sociaux pour se prononcer sur le projet.

L’Etat suit de près le dossier en raison de la dimension de souveraineté de certaines activités d’Atos comme les modules matériels de sécurité fournis à la défense ou les supercalculateurs utilisés par le CEA pour la simulation de la dissuasion nucléaire. Lors de son audition le 11 octobre à l’Assemblée Nationale, Emmanuel Chiva, délégué général pour l’armement, a affirmé qu’une équipe conjointe entre la DGA (Délégation générale à l’armement) du ministère des Armées et la DGE (Direction générale des entreprises) de Bercy est en contact direct avec la nouvelle direction d’Atos pour s’assurer que les intérêts stratégiques de l’Etat soient préservés quel que soit l’opération capitalistique mise en œuvre. «Notre objectif est de nous assurer notamment de tout ce qui est de la soutenabilité et de la pérennité des activités stratégiques dans les différents modèles qui sont proposés», précisait-il.

Les syndicats demandent à l’Etat de s’engager davantage dans le dossier en participant financièrement au sauvetage d’Atos. «Pourquoi l’Etat n’investirait-il pas dans Atos ?, interpelle Alia Iassamen. Il pourrait prendre une participation de 10 à 15 % au capital. Au prix actuel de l’action autour de 5 euros, cela représenterait peu de chose. Mais cela aiderait beaucoup Atos et donnerait un signal fort aux investisseurs

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