« La finance est l’art de faire passer de l’argent de main en main jusqu’à ce qu’il ait disparu » : cette formule d’un célèbre homme d’affaires américain s’applique parfaitement à l’ancien champion de l’infogérance et des supercalculateurs.
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« Il ne s’agit plus d’essayer de flatter des actionnaires, mais bien de sauver ce qui peut encore l’être de ce paquebot. » Le constat dressé par un membre du conseil d’administration d’Atos est amer. Depuis des mois, un processus mortifère est enclenché : la chute progressive d’un colosse aux pieds d’argile, empêtré dans une succession de mauvais choix stratégiques, une montagne de dettes et des résultats dans le rouge, est en train de déboucher sur la fin de ce géant français du numérique, naguère champion de la vente et la gestion de systèmes informatiques aux entreprises (dite « infogérance ») et seul fabricant européen de supercalculateurs. Notre administrateur observe, laissant accroire son impuissance :
« Cela fait quatre ans qu’Atos s’enfonce dans les dettes, il faut réinjecter de l’argent, et on a choisi la moins mauvaise solution. »
Cet été, le groupe français aux 110 000 salariés et 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires a acté sa séparation en deux entités distinctes : d’un côté Eviden, pour tout ce qui concerne les supercalculateurs, la cybersécurité, le cloud et le big data ; de l’autre, Tech Foundations, pour l’infogérance historique, qui doit être racheté par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, nouveau baron du capitalisme français, spécialiste des acquisitions dépréciées (Casino, Fnac Darty, Editis…).
Difficile d’y voir clair dans l’opération, tant la communication financière se révèle alambiquée, chaque partie prenante voyant midi à sa porte.
« Une opération complètement sous-évaluée »
Un document interne de présentation du deal aux dirigeants, que « l’Obs » a consulté, établit que l’ensemble de « l’opération pourrait avoir un impact net positif sur la trésorerie de 0,1 milliard d’euros » dans les caisses d’Eviden, tandis que le magnat tchèque prévoit de « capitaliser à hauteur de 800 millions d’euros » afin de réorganiser son nouveau jouet, qui conservera le nom d’« Atos » (mais aussi ses brevets, sa clientèle, ses machines, ses locaux et 53 000 salariés). « Clairement, ce n’est pas l’occasion de l’année, et il va avoir du boulot pour espérer revenir à la profitabilité », estime encore notre administrateur. Le document interne ne dit pas autre chose :
« Les marges restent insuffisantes. Ceci est dû à […] un manque de productivité […] des effectifs sont surreprésentés dans les pays à coûts élevés où la pyramide des âges est plus senior […] ainsi qu’un nombre important de contrats déficitaires. »
Une communication que balaye le député Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, auprès de « l’Obs » : « C’est du baratin des banques d’affaires. Le groupe a, à la fois, une activité régulière qu’est l’infogérance et une activité pointue dans les supercalculateurs et la recherche quantique. Mais les deux ont besoin l’un de l’autre. Parce qu’il ne s’agit pas des mêmes modèles d’affaires, et parce que dans un monde transformé par l’intelligence artificielle, il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur les deux volets. »
Le tableau noir brossé dans le document interne de la direction l’admet d’ailleurs à mots voilés : les activités de Tech Foundations, si elles ont connu des vaches maigres, affichent « des résultats encourageants […] en termes de retour à la croissance du chiffre d’affaires », laissant supposer des bénéfices sous peu. Ce n’est pas pour rien que l’équipe côté Kretinsky se montre optimiste.
Malgré sa méconnaissance des domaines technologiques et du numérique, elle vante son expertise dans la gestion d’infrastructures et dans l’énergie, qui représente « un poste important dans les coûts d’Atos », laissant espérer un rapide retour à l’équilibre. Si bien qu’un ancien grand directeur d’Atos juge « l’ensemble de l’opération complètement sous-évalué : intrinsèquement, ces activités valent entre 3 et 5 milliards d’euros, mais les banques forcent une vente rapide, sous prétexte de dettes, pour toucher leurs émoluments ».
« Il n’y avait pas d’offre alléchante »
« La finance est l’art de faire passer de l’argent de main en main jusqu’à ce qu’il ait disparu », disait l’homme d’affaires américain Robert Sarnoff. Une formule qui s’applique parfaitement à Atos. En interne, la plupart de nos interlocuteurs datent le début de la chute à la folie des grandeurs de son ancien PDG Thierry Breton, qui a fait passer la croissance de l’entreprise par sur une série d’acquisitions, plutôt que par la croissance interne. Certaines ont été inspirées comme Bull, d’autres biens plus bancales comme Syntel. Et son départ pour la Commission européenne, en 2019, a accéléré une bascule dans la financiarisation, où la stratégie s’est vue surtout dictée par des priorités comptables, sur la foi systématique de recommandations formulées par le cabinet de conseils McKinsey. Résultat : rapidement, le groupe a plongé, son cours de Bourse aussi.
La situation s’est tellement dégradée que, depuis deux ans, la direction réfléchit à une vente à la découpe pour se renflouer. C’est ce plan qui est en train d’aboutir aujourd’hui – difficilement – à la solution Kretinsky, qui acquiert donc la moitié d’Atos et va prendre une participation de 7,5 % d’Eviden (pour 180 millions d’euros), s’imposant comme le premier actionnaire. « Si ça a pris autant de temps, c’est qu’il n’y avait pas d’offre alléchante, glisse un proche des négociations. Et entretemps, la situation n’a cessé de se détériorer. »
Depuis deux ans, le ministère des Armées, client privilégié d’Atos (qui s’occupe notamment des très sensibles supercalculateurs pour la simulation de frappe nucléaire), tente de séduire d’éventuels repreneurs français. Le géant Thalès a refusé, effrayé par le grand nombre de salariés à prendre en charge, tandis qu’Airbus n’envisageait qu’une opération à prix cassés. De leurs côtés, One Point, entreprise spécialisée dans la transformation numérique, et Astek, une société de services informatiques, ont vu leurs offres rejetées. Reste une solution de sauvetage sans scission, ficelée par l’homme d’affaires Yazid Sabeg, mais elle n’a pas été présentée à la direction d’Atos – cet ultime « plan B » aurait des soutiens chez les militaires, d’après « la Lettre A ». « Tout n’est pas encore joué pour Atos : les militaires s’agitent beaucoup en ce moment, ils ne sont pas contents », nous confie un industriel bien introduit au ministère des Armées.
Officiellement, Atos est une entreprise privée et l’Etat n’a pas son mot à dire sur sa gestion ; officieusement, Bercy a bien été « tenu au courant des discussions ». Reste que les voix dissonantes ont été rembarrées d’un « l’affaire est gérée en haut lieu » – comprendre par Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, très proche d’Emmanuel Macron (les deux ont d’ailleurs récemment rencontré Kretinsky). Si bien que, pour l’heure, l’option Kretinsky demeure la seule en lice. Elle doit être approuvée – ou non – lors de la prochaine assemblée générale des actionnaires, prévue en novembre.
Mais il ne faut pas s’attendre à un fleuve tranquille, tant les oppositions à la scission se multiplient. Les petits porteurs, plus ou moins organisés autour de l’Union des Actionnaires d’Atos en Colère (Udaac), entendent bien profiter de l’AG pour réclamer la tête du chef d’orchestre de ce projet, le président du groupe informatique, Bertrand Meunier. Marc, coordinateur de l’Udaac et auteur d’un blog au vitriol sur la stratégie d’Atos, tacle :
« Cette vente est un scandale : les banques ont forcé la vente, Kretinsky ne paye quasiment rien pour une activité reconnue, et l’Elysée valide pour éviter toute faillite durant les Jeux olympiques. »
Les petits actionnaires préparent également une plainte auprès de l’Autorité des Marchés financiers (AMF) contre la direction du groupe, dénonçant « ses mensonges » dans la communication financière. « Il faut stopper ce projet, sinon, ce sera la débâcle chez Eviden, qui déposera le bilan en mars prochain », pronostique encore Marc.
« L’affaire n’est pas terminée »
Il faut aussi compter sur la tournure politique que prend l’affaire. Quatre-vingt-deux sénateurs Les Républicains ont dénoncé, dans une tribune, la vente au milliardaire tchèque, actant une perte de souveraineté française. A la manœuvre, le sénateur du Territoire de Belfort Cédric Perrin, vice-président de la commission des affaires étrangères et de la défense, nous l’assure :
« Je ne suis ni un chevalier blanc, ni le représentant d’un quelconque actionnaire, mais, là, certains essayent de se faire de l’argent sur le dos de la souveraineté nationale, et il faut s’en inquiéter. »
« L’affaire n’est pas terminée. » Le sénateur dit vouloir continuer de dénoncer ce « bradage de notre industrie », évoquant une potentielle commission d’enquête parlementaire, idée reprise en chœur par Olivier Marleix côté Assemblée nationale.
Qu’en est-il des salariés ? Peu remettent en cause la vente à la découpe, tant la direction explique depuis longtemps que ce projet est la seule solution pour faire rentrer des fonds. Sans compter des syndicats maintenus dans le flou : ils qualifient de « verbiage » les détails qu’on leur donne sur la vente à Daniel Kretinsky. « A la direction, moins ils en disent, mieux ils se portent », tacle Emmanuel Kilgus, de la CGT d’Atos. « Ce qui importe, c’est la défense des emplois », insiste de son côté Alia Iassamen, coordinatrice CFDT chez Atos.
Officiellement, aucun licenciement n’est prévu, seulement le non-remplacement des départs en retraite et des démissions – la réduction concerne au total 3 750 postes, dont 800 en France. Sauf qu’en interne, personne n’y croit, et tous anticipent de futures suppressions d’emplois dès que la vente sera actée. « On observe déjà une multiplication des incitations à partir avec un chèque », glisse une salariée, côté Tech Foundations. « Il y a aussi beaucoup de démissions des plus jeunes, qui n’ont plus confiance, dit un autre, côté Eviden. Sans compter que les clients aussi s’interrogent, et questionnent leurs contrats… »
« Une nationalisation temporaire »
Si la fuite n’est pas massive, elle inquiète en interne. D’autant plus qu’il faut aussi composer avec les crispations que suscitent certaines révélations de presse, dont il est difficile de vérifier l’exactitude. A l’image de l’enquête de Mediapart qui assure que Daniel Kretinsky s’est acquis la fidélité de trois dirigeants côté Tech Foundations en échange d’actions gratuites pour des montants allant jusqu’à 25 millions d’euros. Information qui nous est fermement démentie par plusieurs sources, même s’il est bien prévu un plan d’intéressement spécifique sur cinq ans visant à maintenir une cinquantaine de directeurs en place après la bascule, pour un montant non communiqué mais qu’on nous assure « bien moindre ».
Reste que, face à toutes ces incertitudes, plusieurs voix en appellent à… l’Etat. L’an dernier, épaulé par Laurent Berger, l’ex-leader de la CFDT, les syndicalistes d’Atos ont ainsi plaidé la cause auprès des cabinets des ministres de l’Economie et de l’Industrie, se voyant opposer une fin de non-recevoir. Initiative retentée par écrit après l’annonce du deal avec Krestinky, de nouveau refusée. Pourtant, même le député LR Olivier Marleix l’envisage auprès de « l’Obs » :
« Il s’agit d’un savoir-faire unique et stratégique, dont la valeur n’est pas mesurable à travers un cours de Bourse ou des bilans. Aussi, à un moment, la question d’une nationalisation temporaire se pose pour le préserver. Mais ça demande un vrai courage politique. »
Interrogées sur l’idée, plusieurs sources gouvernementales rejettent l’idée – « ce n’est clairement pas dans les tuyaux », nous indique-t-on. Néanmoins, à Bercy, on nous précise qu’il serait intéressant pour Eviden d’« avoir des industriels du secteur comme actionnaires ». Comprendre que l’augmentation de capital prévue dans l’opération Kretinsky pourrait permettre à Thalès ou Airbus (où l’Etat est actionnaire) de prendre des parts. C’est d’ailleurs ce qui semble être le pari du conseil d’administration, lors du rejet de l’opération à bas coûts proposée par Airbus : « Ils ont été arrogants, ils reviendront plus tard prendre des parts à prix fort dans Eviden », anticipe un administrateur. Tout n’est pas encore écrit dans le naufrage du paquebot Atos.
[note du blog: L’administrateur cité à la fin est Jean-Pierre Mustier sans hésitation et l’administrateur lucide à priori Laurent Collet-Billon ou René Proglio selon nous, même si ça ressemble pas au style de Proglio]
https://www.nouvelobs.com/economie/20230908.OBS77896/vente-d-atos-la-desillusion-il-s-agit-de-sauver-ce-qui-peut-encore-l-etre.html
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SI VOUS ESTIMEZ L’ATTITUDE DE LA GOUVERNANCE D’ATOS N’EST PLUS TOLÉRABLE, À SAVOIR UNE DESTRUCTION À PETIT FEU DES CAPITAUX PROPRES D’ATOS, ET LA POSSIBLE FAILLITE DU GROUPE,
alors ADHÉREZ à l’association UDAAC, [l’union des actionnaires d’Atos en colère] et inscrivez-vous sur l’agrégateur d’actions pour comptabiliser notre % du capital « de concert » (cliquez ci-dessous).
L’UDAAC est une association « loi 1901 » immatriculée en préfecture, à vocation unique de défendre les actionnaires d’Atos contre la gouvernance qui détruit à petit feu l’entreprise, afin de mandater un cabinet d’avocat spécialisé en défense d’actionnaires pour réaliser des actions auprès de l’AMF, pour inscrire des résolutions à l’AGE de novembre dans le but de destituer Bertrand Meunier et la moitié du board inféodé, bien-entendu, annuler l’augmentation de capital, et surtout d’annuler le chèque de 1 Md€ versé par Atos à Kretinsky pour garder TFCo dans le giron d’Atos.
Si vous êtes suffisamment nombreux à nous rejoindre, et alors que le budget de l’association soit suffisant, nous assignerons individuellement devant les tribunaux Bertrand Meunier et tous les administrateurs individuellement.
Pour cela, il nous faut réunir des fonds pour financer ce combat, car l’argent est le nerf de la guerre. Il y aura des frais d’avocats très importants ! Mais également des frais d’agence de communication pour nous faire entendre. L’UDAAC a un besoin en fonds énorme pour nous assurer la victoire face aux avocats de Meunier qui bien sûr va choisir les plus chers vu qu’il paie avec votre argent !
L’UDAAC propose une participation de 6 cts par actions détenues, montants qui seront gérés méticuleusement par le bureau de L’UDAAC dont le président et le trésorier sont experts-comptables et inscrit au conseil de l’ordre des experts-comptables et travaillent bénévolement pour l’association.
Union Des Actionnaires d’Atos en Colère
Association 1901 immatriculée en préfecture
Je rappelle que pour tout échange d’idées, suggestions, un forum spécifique a été créé : forum.bourse.blog/udaac/
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