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Le groupe de services numériques est devenu un emblème de la défense des intérêts stratégiques industriels. Pour le sauver du dépeçage, un amendement a été adopté à une large majorité par la commission des finances pour proposer sa nationalisation temporaire.
25 octobre 2023 à 18h36
C’est le scénario que le gouvernement voulait à tout prix éviter : le dossier Atos a désormais pris une dimension politique. La commission des finances a adopté à une large majorité ce 25 octobre un amendement en vue de nationaliser « de façon temporaire » les activités stratégiques du groupe de services numériques.
En quelques semaines, Atos est devenu l’un des emblèmes de la défense des intérêts stratégiques industriels du pays. Très en pointe sur le dossier dès le début du mois d’août, le groupe Les Républicains (LR) a réussi à entraîner les formations de l’opposition à s’intéresser au sort réservé à Atos, Renaissance restant muet sur le sujet dans l’attente d’instructions de l’Élysée. La dimension stratégique de certaines activités (supercalculateurs pour la dissuasion nucléaire et calcul quantique, logiciels pour le pilotage des centrales mais aussi pour nombre de services publics) ne peut être délaissée selon nombre de parlementaires, à un moment où le groupe risque d’être vendu à la découpe.
Dans le cadre du volet dépenses du projet de loi de finances 2024, deux amendements, suggérant une nationalisation temporaire, ont été déposés en vue de permettre à l’État de reprendre la main. Le premier, déposé par Olivier Marleix, chef de file du groupe LR à l’Assemblée nationale, recommandait de dégager une enveloppe de 250 millions d’euros pour nationaliser à hauteur de 51 % l’ensemble du groupe. Le second, proposé par le député PS, Philippe Brun, par ailleurs rapporteur de participations financières de l’État, demandait le vote d’un crédit de 390 millions d’euros pour nationaliser les seules activités stratégiques. « Nous sommes inquiets des risques de perte de souveraineté pour l’État », explique le parlementaire PS pour justifier son initiative sur Atos.
En séance, Olivier Marleix a décidé de retirer son amendement au profit de celui de Philippe Brun, qui prévoit des financements supérieurs pour cette opération de nationalisation. « L’idée est de se donner du temps pour trouver des partenariats industriels français solides », a développé le député LR avant de voter, comme son groupe, en faveur de l’amendement de Philippe Brun. Olivier Marleix redoute que, sans coup d’arrêt ferme des pouvoirs publics, le sort du groupe, en pleine décomposition, se règle dans l’opacité au travers d’une procédure de sauvegarde accélérée « comme avec Casino ». Un cas de figure inadmissible, selon lui, compte tenu des enjeux stratégiques d’Atos.
Où est la politique industrielle ?
Mais au-delà de ce dossier plane la volonté de tester la réalité des intentions gouvernementales. L’exécutif affirme vouloir renouer avec la politique industrielle. Mais où est-elle ? Les précédents d’Alstom, de Technip, de Nokia, dossiers auxquels Emmanuel Macron a été étroitement lié, étaient présents dans tous les esprits en séance de la commission des finances.
Lors de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait promis, sans admettre ses erreurs passées, de mettre la politique industrielle au cœur de son second mandat. Pour illustrer cette conviction, il avait fait le déplacement jusqu’à Belfort, siège historique d’Alstom, pour annoncer le rachat des turbines Arabelle – équipement clé des centrales et sous-marins nucléaires – vendues à l’américain GE.
Pour bien afficher ce changement de cap, le ministère de l’industrie a été renommé ministère de la souveraineté industrielle. Mais depuis, les axes structurants de cette nouvelle politique manquent. Même les négociations entre EDF et GE sur le rachat des turbines Arabelle piétinent, dans l’attente d’un feu vert des autorités américaines qui se fait de plus en plus attendre.
Alors que l’exécutif est confronté à un nouveau test avec Atos, les députés ne peuvent s’empêcher de noter l’assourdissant silence du gouvernement sur ce dossier. Ni Bruno Le Maire, ministre des finances, ni Sébastien Lecornu, ministre de la défense, ni Roland Lescure, ministre de l’industrie, ne se sont exprimés sur ce sujet qui les concerne directement mais dont la gestion semble largement leur échapper.
Pour justifier son retrait, le gouvernement a mis en avant comme éléments de langage qu’Atos était un groupe privé sur lequel l’État n’avait aucune prise. « Si ce n’est pas une affaire d’État, pourquoi Alexis Kohler reçoit-il les acteurs de ce dossier ? », a demandé Olivier Marleix en séance. Depuis le printemps, le secrétaire général de l’Élysée gère de fait le sujet Atos, et il a reçu les principaux intervenants. Son omniprésence, en dehors de tout contrôle, de toute responsabilité, indispose de plus en plus les parlementaires de tout bord. Au point que certains le surnomment « le banquier d’affaires de l’Élysée ».
Dès que Bercy a été informé du dépôt des deux amendements proposant la nationalisation d’Atos, le ministère a fait savoir de façon officieuse qu’il n’était pas question de nationaliser le groupe de services numériques : ce type de mesure ne s’inscrit pas dans sa politique. En présentant son amendement, Philippe Brun a relevé que le gouvernement n’avait pas hésité en 2017 à nationaliser de façon temporaire STX France (renommé Les Chantiers de l’Atlantique) afin justement de se donner du temps pour organiser l’avenir de cette société importante.
Atos est-il moins stratégique que les chantiers de Saint-Nazaire ? Il est vrai que le groupe de services numériques n’a pas comme client l’armateur MSC, si proche d’Alexis Kohler, qui militait ardemment pour cette solution de nationalisation afin d’avoir toujours accès à « la liquidité publique ».
Le bienvenu 49-3
La perspective de voir resurgir de nombreux fantômes industriels du passé, tout comme de devoir s’expliquer sur son refus d’intervention dans une société stratégique au bord de l’effondrement, place l’exécutif dans une seringue. Depuis la fin de semaine, selon nos informations, le gouvernement frappe à toutes les portes afin de trouver d’éventuels repreneurs français qui pourraient racheter BDS, la filiale qui porte les principales activités liées à la défense et à la sécurité. Mais, pour l’instant, tout paraît dans les limbes.
Faute de solution claire, l’exécutif a toujours moyen de recourir à des expédients. Comme pour le volet recettes, le volet dépenses du projet de loi de finances 2024 est appelé à être adopté au moyen de l’article 49-3. Et cet amendement, qui titille le gouvernement, semble voué comme tant d’autres à tomber dans les oubliettes de l’histoire.
Cela n’empêchera pas l’épineux problème d’Atos de subsister et de s’interroger sur la volonté de l’exécutif de défendre une « souveraineté industrielle » dont il se targue. Anticipant le sort réservé à cet amendement, Olivier Marleix a déjà prévenu : si Atos est dépecé d’une façon ou d’une autre, il y aura une commission d’enquête parlementaire et tous devront s’expliquer.
Tout se met en place pour que la débâcle d’Atos prenne des allures de scandale d’État.
https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/251023/atos-des-deputes-ps-et-lr-proposent-de-nationaliser-le-groupe
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