Atos espère tourner la page de la crise grâce à Kretinsky (LES ECHOS)

L’ex-fleuron informatique est entré en négociations exclusives avec le milliardaire tchèque afin de lui céder ses activités déficitaires d’infogérance pour une somme symbolique. Désormais incontournable dans l’Hexagone, l’homme d’affaires va également entrer au capital de la pépite Eviden, présente dans la cybersécurité.

Par Gwénaëlle Barzic  Publié le 1 août 2023 à 9:46  Mis à jour le 1 août 2023 à 18:28

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Coup double. Jeudi dernier, Daniel Kretinsky apposait sa signature à l’offre de reprise du géant français de la distribution en péril Casino. Cinq jours plus tard, le milliardaire tchèque récidive avec l’annonce mardi du projet de rachat des activités d’infogérance d’Atos, son métier historique. Les cibles appartiennent à des univers distincts mais le fil conducteur est le même : investir à contre-courant dans des activités matures qui périclitent, en faisant le pari qu’une fois restructurées, elles pourront encore créer de la valeur.

« Cherry on the cake » : parallèlement, le Tchèque met un pied dans le secteur hautement stratégique de la cybersécurité en déboursant un peu plus de 200 millions d’euros pour devenir le premier actionnaire – minoritaire – de l’autre division qui abandonnera le nom d’Atos pour être rebaptisée Eviden.

Pour l’ex-fleuron français, qui vit une descente aux enfers depuis plus de deux ans, une nouvelle page de l’histoire va s’ouvrir. Le groupe se déleste d’une activité représentant encore plus de la moitié de son chiffre d’affaires mais en décroissance et déficitaire. Atos avait cherché à s’en défaire à plusieurs reprises par le passé, sans trouver de repreneur.

Il avait fini par se résoudre en juin 2022 à un plan radical et contesté de restructuration-scission de ses activités avec à la clef 7.500 suppressions d’emplois et une facture de 1,1 milliard d’euros. D’un côté : l’infogérance, promise à une lourde réorganisation, logée dans une entité appelée Tech Foundations, celle que rachète Daniel Kretinsky. De l’autre les activités porteuses de cybersécurité, de supercalculateurs et de transformation numérique – « Eviden » – objet de nombreuses convoitises.

Un signal pour d’autres investisseurs ?

L’ouverture est finalement venue côté Tech Foundations. Sa vente scelle la fin de l’empire informatique tel qu’il avait été bâti par Thierry Breton , aujourd’hui Commissaire européen. Elle pourrait être le prélude à d’autres grandes manoeuvres, même si la vente de l’infogérance et l’entrée parallèle de Daniel Kretinsky au capital d’Eviden rendent moins urgente la nécessité de trouver un repreneur, indiquent plusieurs sources au fait des discussions.

« On a clarifié la question des passifs, on a clarifié la structure du capital. Il y a un premier acteur qui a ouvert la porte, il y a l’espoir que cela fasse venir d’autres investisseurs », indique l’une des sources, selon laquelle le conseil et la direction d’Atos aimeraient constituer un socle d’actionnaires de références pour le nouvel Eviden.

Entamées l’automne dernier, les négociations avec le Tchèque auront mis de longs mois avant d’aboutir à cette transaction complexe, qui se traduira par une sortie de la cote des activités logées dans Tech Foundations.

Tech Foundations reprendra la marque Atos

Dans le détail, le Tchèque met la main sur la totalité des activités d’infogérance – un peu plus de 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022, 52.000 salariés – pour une somme symbolique qui se traduira par un impact positif net limité à 100 millions d’euros sur la trésorerie de l’ex-Atos. Mais Daniel Kretinsky a accepté de reprendre la totalité des passifs (bilan comme hors-bilan) de la branche, soit près de 10 milliards d’euros au total : loyers, provisions, retraites, engagements sur les contrats etc.

Surtout, les activités seront logées dans un nouveau véhicule d’investissement au sein d’un des holdings du milliardaire, EP Equity Investment, qui sera capitalisé à hauteur de 800 millions d’euros, précise Atos dans un communiqué, sans donner plus d’explications. La totalité de la dette – 2,3 milliards à fin juin – restera en revanche côté Eviden, la branche qui restera cotée en Bourse.

« Acquérir Tech Foundation représente une grande opportunité pour nous d’investir dans des infrastructures et des services technologiques européens de premier plan », a souligné Daniel Kretinsky dans un communiqué, dans lequel il dit sa confiance à l’actuelle direction de Tech Foundations et son numéro un, Nourdine Bihmane.

Après la transaction et pour la première fois depuis sa création en 1997, Atos se renommera Eviden. Sortie de la cote, Tech Foundations conservera la marque Atos et en sera l’unique propriétaire.

Bouclage de l’opération envisagé début 2024

Le projet sera proposé aux actionnaires lors d’une future assemblée générale extraordinaire, l’idée étant de boucler l’opération « au quatrième trimestre 2023 ou au premier trimestre 2024 ». En Bourse, les marchés ont bien réagi à l’ouverture avant que l’action ne se retourne à la baisse. La semaine dernière, le titre avait plongé de 20 % après des résultats montrant une dégradation des flux de trésorerie disponibles (à presque -1 milliard d’euros) et de la dette nette.

Contestée par certains actionnaires minoritaires, la scission doit donner une nouvelle impulsion au groupe de 110.000 salariés, confronté après le départ de son PDG Thierry Breton en 2019 à une vertigineuse chute de sa valorisation (-89 % sur cinq ans et -20 % sur un an) et à des mauvais résultats commerciaux et financiers.

Resserré autour d’Eviden, le groupe espère désormais mieux servir le segment des services numériques, un marché à 1.800 milliards de dollars à l’horizon 2025 et qui connaît une croissance à deux chiffres. Au premier semestre, Eviden a enregistré une croissance organique de +7 % tandis que les revenus de Tech Foundations ont reculé de 1,6 %.

Daniel Kretinsky, bientôt premier actionnaire d’Eviden

Parallèlement à la cession de Tech Foundations, Atos a annoncé deux augmentations de capital destinées à renforcer la structure financière d’Eviden pour un montant total de 900 millions d’euros. Sur ce total, Daniel Kretinsky va investir 217,5 millions et détiendra ainsi 7,5 % d’Eviden, devenant de facto son premier actionnaire.

Dans la cession comme dans l’augmentation de capital d’Eviden, le milliardaire tchèque souhaite inclure la société Fimalac de l’homme d’affaires Marc Ladreit de Lacharrière – déjà son partenaire dans le sauvetage en cours du distributeur Casino -, a indiqué Atos, sans préciser à ce stade le montant de son investissement. Atos a dans ces opérations été conseillé par Rothschild & Co, J.P. Morgan et Perella Weinberg Partners.

Pour Daniel Kretinsky, qui doit aussi prochainement prendre le contrôle d’Editis, c’est un pari de plus. « Il y a deux, trois grosses années de restructuration à faire. C’est un business qui a été mal géré, il y a beaucoup de contrats dont il faut se défaire », souligne une autre source au fait des discussions. « Il faut avoir les reins solides mais il pense qu’il s’y retrouvera », ajoute-t-on de même source.

Gwenaëlle Barzic