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En contrat avec des opérateurs vitaux, des industriels de défense et des services de l’État, Atos dispose de nombreuses habilitations au secret-défense pour ses ingénieurs. La Lettre dévoile qu’une bonne partie de ces accès concernent des contrats opérés par Tech Foundations, l’entité promise au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky.
Avec environ 900 habilitations au secret de la défense nationale, les salariés d’Atos autorisés à accéder à des informations susceptibles de compromettre la défense nationale représentent près de 10 % des effectifs, sur un total de 9 700 salariés en France. Ce qui fait du fleuron informatique en cours de scission entre Eviden, qui regroupe les activités datas et cyber, et Tech Foundations (TFCo), futur héritier de la partie infogérance, l’un des plus gros détenteurs d’habilitations parmi les entreprises hexagonales de services numériques.
Le groupe Atos est, depuis plus de dix ans, un intervenant de premier plan sur des activités stratégiques conclues avec l’État, supplantant en la matière Sopra Steria et Capgemini. On lui doit, entre autres, le téléphone sécurisé des armées, une partie de la connectique du Rafale de Dassault ou encore le système de combat Scorpion. Seul un cercle très restreint autour du président du groupe, Bertrand Meunier, connaît le nombre d’habilitations délivrées et sa répartition précise. D’après nos informations, une partie minoritaire, mais significative, de ces habilitations concerne Tech Foundations, l’entité qui sera cédée au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky.
Satellites militaires, nucléaire…
« Tchèque Foundations« , comme est désormais surnommée en interne cette partie d’Atos, compte dans ses rangs des dizaines d’ingénieurs qui ont été habilités après une enquête poussée de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure – voir l’encadré). Parmi les clients, on trouve le Centre national des études spatiales (CNES). Le GPS européen Galileo, système de navigation par satellite aujourd’hui le plus précis au monde, est l’un de ses projets, comportant des débouchés à la fois civils et militaires. Ce dernier volet contraint l’actuelle branche infogérance d’Atos à disposer d’une série d’habilitations pour ses ingénieurs positionnés sur les activités satellitaires à composante militaire.
Ces habilitations sont également nécessaires pour opérer les contrats noués avec Airbus Defence & Space et Naval Group, deux groupes qui font appel à la partie TFCo d’Atos pour ses projets informatiques. S’ils ne nécessitent pas tous une habilitation défense, plusieurs autres contrats stratégiques en cours avec Thales Alenia Space, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), EDF et Safran, tomberont aussi dans l’escarcelle du magnat tchèque.
Cet été, le groupe Atos a d’ailleurs ravi à son concurrent Capgemini le contrat « SOF », impliquant les entreprises Si-nergie, Orano et Framatome, à Cherbourg. Avec ce contrat, TFCo – donc la partie bientôt détenue par Daniel Kretinsky – prendra la main sur l’infogérance de plusieurs acteurs de la filière nucléaire française. Cette poule aux œufs d’or a rapporté un milliard d’euros pendant dix ans à Capgemini. Reconfiguré, le contrat sera moins rémunérateur pour le groupe dirigé depuis le 4 octobre par Yves Bernaert (LL du 03/10/23).
Chez Eviden aussi
Un nombre conséquent d’habilitations ont aussi été délivrées au futur Eviden, qui abritera la stratégique activité BDS (Big data & Security), pour les interventions menées pour le compte d’EDF et du CEA, expérimentateur de la dissuasion nucléaire. Une autre partie revient aux ingénieurs œuvrant au bénéfice du ministère des armées, que ce soit pour l’Armée de terre ou la Marine. Une cinquantaine de sésames sont également délivrés pour des prestations effectuées pour la DGSI. Or Eviden compte pour actionnaire minoritaire Daniel Kretinsky, à hauteur de 7,5 % du capital.
Par ailleurs, Eviden héritera des bâtiments « classés » d’Atos. C’est le cas de certaines salles aux Clayes-sous-Bois (Yvelines) et chez l’ancien Bull et de ses locaux établis à d’Aix-en-Provence.
« Besoin d’en connaître »
Yves Bernaert devra disposer du « besoin d’en connaître », selon l’expression de l’instruction ministérielle régissant le secret-défense, s’il veut s’immiscer de près dans les contrats classifiés. L’entreprise s’est bien gardée jusqu’ici d’évoquer publiquement ce sujet des habilitations, plus que délicat, car elle tire en France environ 25 % de son chiffre d’affaires des secteurs public et para-public.
Pour la gouvernance et le management des entreprises, ce « besoin d’en connaître » relève d’un exercice délicat. Atos en a d’ailleurs fait l’expérience lors des réorganisations sous l’ancien PDG Thierry Breton, par exemple lors du projet Monet (LL du 27/10/16). Car le départ d’un dirigeant « habilité » peut parfois virer au casse-tête, le temps que son successeur se voie attribuer le sésame après enquête de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) ou de la DGSI. Et cela, même si l’instruction interministérielle de 2021 a consacré un avis de sécurité provisoire ainsi qu’une procédure d’urgence, pour « des fonctions exigeant un accès immédiat à des informations et supports classifiés« .
Mesures renforcées et longs délais
Les services enquêteurs de l’État, sous l’égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), peuvent gripper temporairement la machine à délivrer des habilitations. En cas de mobilités, de départs d’ingénieurs ou de dirigeants ayant accès à des contrats « classifiés », Atos doit procéder à de nouvelles demandes. C’est la DRSD, pour le secteur de la défense, ou la DGSI, coté civil, qui prennent en charge l’enquête administrative appelée à vérifier que le salarié n’a pas d’incompatibilité pour exercer sa mission.
Les mesures sur la protection du secret de la défense nationale ont été renforcées par un arrêté publié le 9 août 2021, approuvant une épaisse instruction générale ministérielle de 225 pages sur « la protection du secret de la défense nationale« . Celle-ci a été rehaussée : la catégorie « confidentiel défense » a été supprimée, les accès sont ainsi passés de trois à deux niveaux : « secret » à « très secret », habilitation la plus élevée nécessitant une enquête de six mois. Autant d’exigences qui proscrivent une prestation « classée » effectuée en dehors de France.
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