Le groupe de services informatiques est le seul fabricant européen de ces ordinateurs surpuissants, indispensables à la recherche scientifique et militaire.
Par Olivier Pinaud , Publié le 15/11/2022 à 09h31. Temps deLecture 3 min.
La souveraineté technologique française et européenne passe par une zone industrielle, à quelques kilomètres du centre-ville d’Angers, dans une ancienne usine Bull construite au début des années 1960. C’est là qu’Atos, propriétaire du groupe d’informatique depuis 2014, assemble ses supercalculateurs, des ordinateurs à haute performance (high performance computing, HPC), dont la vitesse se mesure en pétaflops (1 pétaflop équivaut à 1 million de milliards de calculs en une seule seconde). La dernière machine sortie de l’usine d’Angers, destinée au Cineca, le centre national de calculs italien, a été flashée à 174 pétaflops… Certaines sont plus rapides. Aux Etats-Unis, un supercalculateur construit par l’américain Hewlett-Packard Enterprise (HPE) a franchi la barre symbolique des 1 000 pétaflops, ce qui en fait la première machine exaflopique.
Ces monstres informatiques ne sont pas faits pour M. et Mme Tout-le-monde. Une seule armoire métallique (rack), dans laquelle sont superposés des dizaines de microprocesseurs, compte plus de 5 millions de composants, pèse plus d’une tonne et demie. Certains projets alignent 150 racks les uns à côté des autres. Le tout est refroidi à l’eau, en circuit fermé, pour maintenir la température autour de 40 °C. Le prix est proportionnel au poids : il se compte en centaines de millions d’euros. Ces machines sont indispensables aux besoins de calculs des services de météorologie, des centres de recherche, notamment en intelligence artificielle ou en sciences des matériaux, ou de certains industriels, comme EDF, Total ou Airbus en France.
Les sciences de la vie les utilisent aussi de plus en plus. Pendant le Covid-19, des supercalculateurs ont été mis à disposition des laboratoires pour accélérer la recherche de vaccins. Ces superordinateurs servent aussi pour des missions plus secrètes. Les machines d’Atos équipent le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) pour ses applications militaires. C’est d’ailleurs l’arrêt des essais nucléaires français, en janvier 1996, qui a offert une seconde jeunesse aux supercalculateurs de Bull, les ordinateurs permettant de simuler une explosion.
Une activité modeste financièrement
Financièrement, l’activité HPC reste modeste pour Atos : de 300 millions à 400 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, en fonction du nombre de commandes, sur un total de plus de 10 milliards pour le groupe. Mais les technologies, les clients et la rareté du savoir-faire – seul fabricant européen, Atos est le numéro trois mondial, derrière HPE et le chinois Lenovo – font des supercalculateurs un « actif stratégique pour la France et l’Europe », insiste Emmanuel Le Roux, le responsable de cette division chez Atos, dans un domaine où les Américains dominent. Outre HPE, qui a racheté, en cinq ans, ses compatriotes SGI puis Cray, tous les microprocesseurs qui font tourner ces machines sortent de chez Intel, AMD ou Nvidia.
Ces activités sont aussi stratégiques pour Atos lui-même, au moment où il doit démontrer, après deux années difficiles, qu’il est plus qu’une simple société de services informatiques. Logées dans la filiale Evidian, en cours de scission, elles sont son meilleur bouclier : l’Etat refuserait à coup sûr que l’entreprise tombe entre les mains d’un étranger.
Avec son nouveau modèle BullSequana XH3000 dévoilé en février, Atos espère réduire la dépendance européenne aux technologies américaines, même si elle est tenace. Le supercalculateur Jean Zay, destiné à des travaux d’intelligence artificielle, a été commandé en 2019 par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, par le biais du Grand équipement national de calcul intensif (Genci), à HPE. Créée en 2020 pour mutualiser les ressources européennes dans le calcul de haute performance, l’agence EuroHPC a acheté son premier plus gros supercalculateur (le Lumi, en Finlande) chez HPE.
Augmenter de 30 % les effectifs
Depuis, Atos s’est rattrapé : sur les sept supercalculateurs commandés par la suite, six ont été fabriqués à Angers. Le français espère qu’il en sera de même pour le premier supercalculateur exaflopique européen, prévu pour être installé, fin 2024, au centre de recherche de Juliers, près d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne. Les résultats de l’appel d’offres seront connus au premier semestre 2023. Montant de la commande : 500 millions d’euros, dont environ la moitié financée par EuroHPC et l’autre par l’Allemagne. Emmanuel Le Roux « espère que l’Europe saura », à cette occasion, « démontrer sa capacité de souveraineté et d’indépendance ». Un second supercalculateur exaflopique suivra. La France est candidate pour l’accueillir.
Si la flambée du prix de l’électricité a ralenti certains projets – les supercalculateurs consomment beaucoup d’énergie –, Atos croit au développement du marché. Le groupe a engagé un chantier de reconstruction de son usine angevine. A partir de 2027, elle pourra livrer deux fois plus de supercalculateurs, avec un gain de productivité de 30 %. La direction prévoit d’augmenter de 30 % ses effectifs, actuellement de l’ordre de 250 personnes. Coût du projet : « 80 millions d’euros », selon Vincent Sarracanie, le responsable de la chaîne d’approvisionnement de cette division d’Atos. Bpifrance pourrait contribuer au financement des murs de cette nouvelle usine.
Olivier Pinaud((Angers))
https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/11/15/atos-fait-de-ses-supercalculateurs-un-etendard-de-souverainete-et-d-independance_6149913_3234.html