Atos : les dirigeants changent, mais pas la stratégie [MÉDIAPART]

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Le remplacement de Bertrand Meunier par l’ancien numéro deux de la Société générale ne change rien. Le projet de vente du groupe à Daniel Kretinsky est maintenu malgré la révolte des actionnaires. La cession est simplement reportée.

Martine Orange

16 octobre 2023 à 19h44

La situation était intenable et Bertrand Meunier n’a pas tenu. Le 14 octobre, le président d’Atos a remis sa démission de ses postes de président et d’administrateur du groupe de services numériques au conseil d’administration. Il est remplacé par Jean-Pierre Mustier, nommé président non exécutif du groupe, et Laurent Collet-Billon, comme vice-président non exécutif.

Depuis plusieurs semaines, Bertrand Meunier était considéré comme un problème, même pour ses soutiens et l’exécutif. Dirigeant l’entreprise depuis fin 2019, sa stratégie, ses piètres performances et sa communication inexistante lui ont valu de multiples critiques qu’il a toujours balayées, les qualifiant de « manœuvres de déstabilisation ».

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Jean-Pierre Mustier à Rome (Italie) en 2018. © Photo Luigi Mistrulli / IPA / Abaca.
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Mais la grogne s’est transformée en fronde le 1er août quand l’ancien président a annoncé l’entrée en négociations exclusives avec le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky pour vendre une partie des activités du groupe réunies dans Tech Foundations.

Mais la grogne s’est transformée en fronde le 1er août quand l’ancien président a annoncé l’entrée en négociations exclusives avec le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky pour vendre une partie des activités du groupe réunies dans Tech Foundations.

Depuis, la contestation ne cesse de prendre de l’ampleur. Deux fonds d’investissement, Alix PM et CIAM, ont déposé plainte auprès du Parquet national financier (PNF), le premier pour « corruption active et passive », le second pour « informations fausses et trompeuses ». Plusieurs investisseurs, dont l’Union des actionnaires d’Atos constructifs (UDAAC), ont adressé des lettres à l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour se plaindre des informations « trompeuses » fournies par le groupe. D’autres plaintes seraient en préparation auprès du tribunal de commerce.

Au cours de ces quinze derniers jours, la crise s’est encore accélérée. Une administratrice, Caroline Ruellan, a donné sa démission du conseil. Deux nouveaux dirigeants ont quitté le groupe, un nouveau directeur général, Yves Bernaert, ancien d’Accenture, a été nommé. Tandis qu’Atos semble s’égarer, son cours s’effondre inexorablement. En trois mois, il a perdu plus de 60 %. Muet face à la fronde, Bertrand Meunier est apparu démonétisé, incapable de reprendre la main.

La nomination de Jean-Pierre Mustier, ancien numéro deux de la Société générale et ex-président de la banque italienne UniCredit, est censée calmer la contestation. Et aussi donner des gages au monde de la finance qui, en coulisses, se soucie de plus en plus de la dégradation de la situation. Laurent Collet-Billon, qui fut délégué général de l’armement, semble avoir pour « mission » en tant que vice-président non exécutif d’Atos de veiller aux intérêts stratégiques de l’État, alors que l’armée et le monde politique se divisent et s’inquiètent concernant le sort réservé à des actifs stratégiques portant notamment sur la dissuasion nucléaire.

Ces changements ne règlent aucun problème.

Anne-Sophie d’Andlau et Catherine Berjal, les fondatrices du fonds CIAM

Dans les faits, cette double nomination risque de ne rien calmer du tout. À la lecture des déclarations des nouveaux dirigeants, les financiers ont compris que rien ne bougera, ni dans la gouvernance défectueuse d’Atos, ni dans la stratégie du groupe. Ce qui semble se présenter comme une révolution de palais s’apparente, à leurs yeux, à une « diversion », un « moyen de gagner du temps »« Ces changements ne règlent aucun problème. C’est de la poudre aux yeux », affirment Anne-Sophie d’Andlau et Catherine Berjal, les fondatrices de CIAM, qui pilotent la bataille contre la scission et la vente d’une partie des actifs.

La continuité se voit déjà dans le processus même de la nomination de Jean-Pierre Mustier. Dans son communiqué, Atos dit avoir lancé « un processus de sélection rigoureux » et examiné des « candidatures à la fois internes et externes » avant de faire ce choix. Une déclaration qui fait grimacer beaucoup d’observateurs. « À qui fera-t-on croire qu’il y a eu un processus de sélection ? On est dans le pire de la gouvernance à la française : on reste dans l’entre-soi. Si Mustier connaît la finance, il n’a aucune compétence dans le numérique, qui est pourtant le problème numéro un d’Atos »,relève un connaisseur du dossier. Pour lui, la nomination de l’ancien numéro deux de la Société générale est la perpétuation de la politique de Bertrand Meunier.

Les deux hommes sont réputés être des amis très proches : financiers, vivant à Londres et ayant des maisons adjacentes en Corse. Nommé au conseil d’Atos en mai 2023 à l’invitation de Bertrand Meunier, Jean-Pierre Mustier a depuis été le défenseur le plus dur de la stratégie du président à l’intérieur et à l’extérieur, n’hésitant pas à faire pression sur les réticents ou les résistants.

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Lors de l’inauguration d’un supercalculateur Atos à Paris le 16 février 2022. © Photo Vincent Isoré / IP3 via MaxPPP

« Compte tenu de la défiance des actionnaires, le vrai respect de la gouvernance aurait été de nommer une direction par intérim et de convoquer une assemblée générale pour permettre aux actionnaires de se prononcer sur la présidence, les administrateurs et la stratégie. Cela aurait été rendre la parole aux actionnaires qui ont été gravement trompés lors de la dernière assemblée générale en juin. Le conseil ne l’a pas fait. On devine pourquoi : il aurait été mis en minorité », dit un actionnaire.

Une stratégie inchangée

Car la stratégie reste la même. Dans leurs premières déclarations, les dirigeants d’Atos ont confirmé que le projet de Bertrand Meunier était conservé intact. Le groupe a toujours l’intention de vendre une partie de ses actifs à Daniel Kretinsky. Seule modification : le calendrier. Au lieu de réaliser l’opération à la fin de l’année, elle est reportée au début du deuxième trimestre 2024. L’assemblée générale, qui doit approuver la nécessaire augmentation de capital, est à nouveau repoussée à la fin du premier trimestre de l’année prochaine.

Est-ce la menace des plaintes déposées ? Les injonctions de l’AMF pressée par de nombreux investisseurs ? La nouvelle direction a été contrainte de donner des informations plus claires sur l’opération de vente à Daniel Kretinsky. Elles viennent confirmer tout ce qui a été dénoncé depuis le 1er août. Après avoir reçu 100 millions d’euros pour Tech Foundations – qui réalise 5,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires –, le groupe Atos devra bien apporter un milliard d’euros au milliardaire tchèque pour reconstituer son fonds de roulement. Une opération « calamiteuse » selon les actionnaires mais que le nouveau directeur général justifie en expliquant « qu’il s’agit de la meilleure des solutions disponibles ».

Mais pourquoi la nouvelle direction d’Atos s’entête-t-elle dans cette vente décriée de toutes parts ?Personne ne parvient à trouver une réponse satisfaisante, d’autant que le projet est largement compromis, d’après des connaisseurs. « C’est une opération impossible. Il ne peut pas y avoir d’augmentation de capital dans une telle situation de décomposition. Et s’il n’y a pas d’augmentation de capital, Atos est incapable d’apporter les fonds demandés par Daniel Kretinsky. Et sans ces fonds, ce dernier n’ira pas », déroule de façon implacable un banquier.

Certains s’attendent à ce que le groupe multiplie les messages anxiogènes dans les mois à venir pour faire plier les actionnaires, voire les faire fuir. Et cela pourrait commencer, selon eux, dès les révélations des résultats du troisième trimestre. « Ils veulent répéter le scénario Orpea et Casino, qui leur a si bien profité. En outre, ce sont les mêmes qui sont à la manœuvre », soupçonne un investisseur.

Certains fonds ont bien en tête ces précédents. La menace de recourir à une procédure de sauvegarde accélérée auprès du tribunal de commerce, comme cela a été fait pour Orpea ou Casino, a d’ailleurs été d’abord agitée par des administrateurs d’Atos. « Cela leur permettrait d’écraser les actionnaires, de ratiboiser les porteurs obligataires, tout en préservant les intérêts des grandes banques puis de découper le groupe en morceaux et se partager les restes », dit l’un d’entre eux.

Mais cette fois, certains investisseurs sont avertis et préparent déjà la riposte.

Le combat s’annonce d’autant plus dur que le sort d’Atos n’est pas seul en jeu. Derrière, se profile une bataille bien plus large concernant les dérives d’un certain capitalisme à la française, fait d’entre-soi, de défense d’intérêts plus ou moins avouables, sous la haute protection de l’exécutif. La mainmise d’un petit groupe qui monnaie ses entrées et son influence auprès du pouvoir, indigne de plus en plus. Certains veulent en finir avec cette oligarchie qui ne dit pas son nom.

Ce petit club a bien compris ce qui est en jeu. Et il est prêt à défendre à tout prix ses privilèges. Même si cela doit passer par la mort d’un groupe industriel. Ce ne sera qu’un de plus.

https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/161023/atos-les-dirigeants-changent-mais-pas-la-strategie

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3 Comments on "Atos : les dirigeants changent, mais pas la stratégie [MÉDIAPART]"

  1. Jepirad | 17/10/2023 at 09:05 |

    Pour gouverner un grand groupe informatique ou autre c’est bien un type qui maîtrise la finance qu’il faut surtout quand l’endettement est élevé. Pas besoin qu’il connaisse les technologies de l’informatique. Désolé. Cordialement Jean-Pierre Ramond

  2. Lionel Devanton | 18/10/2023 at 19:06 |

    Le précédent avait une gueule de con et celui-là, il a également une gueule de con.

    • Map, Blog admin | 19/10/2023 at 18:22 |

      Non, il est mignon, et pour la diversité, un président « hybride » c’est « tendance » 😀

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