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Comment Atos, le leader des services informatiques, gérant des secteurs clés de l’État, a décliné au point de voir fondre sa valeur boursière ? Récit d’une gabegie orchestrée par les autorités.
Publié le 7 février 2025 – 12min

© REUTERS/Philippe Wojazer
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Le 1er novembre, le groupe parlementaire NFP faisait adopter à la commission des Finances de l’Assemblée un amendement prévoyant la nationalisation d’Atos. Si le texte a disparu dans un 49.3, l’idée était de racheter l’ensemble du groupe informatique (85 000 salariés) pour 70 millions d’euros. C’était à peu près la valeur de l’entreprise dont l’action tourne autour de 0,0025 euro. Une affaire !
Mais à la fin du même mois, l’État s’est mis à négocier le rachat de la seule division Advanced Computing (2 500 salariés), qui fabrique des supercalculateurs, et se dit prêt à mettre 625 millions d’euros au pot. Près de 10 fois la valeur en Bourse de l’ensemble du groupe…
Pour la CGT, il s’agit « d’une décision inepte de plus ». « Il n’y a aucune rationalité, ou alors c’est une forme de malversation : l’État se dépouille lui-même au profit des créanciers du groupe », pointe de son côté le député FI-NFP Aurélien Saintoul qui vient de proposer, le 21 janvier, une « commission d’enquête sur la vente à la découpe de l’industriel Atos ».
Le groupe réalise 60 % de son chiffre grâce à l’État
Voilà bien longtemps que la CGT dénonce tous ceux qui « se nourrissent sur la bête ». Cabinets de conseils, banques d’affaires, cabinets d’avocats d’affaires, créanciers… « Le tout avec de l’argent public, puisque l’État est le principal client. Il commande, paie, soutient, renfloue Atos », s’agace Aurélien Saintoul. En France, le groupe réalise 60 % de son chiffre d’affaires avec de la commande publique et parapublique. Il a par exemple reçu 50 millions d’euros d’aide de Bercy pour passer l’été et les jeux Olympiques.
2019 est l’année charnière pour Atos. Thierry Breton, PDG du groupe depuis 2008, est opportunément nommé à Bruxelles. « Sous sa direction, l’entreprise avait une vision industrielle, que l’on peut discuter, mais qui existait, note Fabien Gay. Sa stratégie a surtout consisté en une croissance externe, en rachetant de multiples entreprises : Share, Siemens, Bull, Unify, Z Data, Syntel… énumère le sénateur communiste, corapporteur en 2024 d’une mission d’information consacrée à l’avenir d’Atos. Même si certaines acquisitions comme Siemens, en plein déclin, ou Syntel, bien trop cher, peuvent être sérieusement interrogées. »
L’orgueil de Thierry Breton
À son firmament, le groupe figurait dans le top 10 mondial des entreprises informatiques. Toutefois, « on avait l’impression que quand Thierry Breton était le patron, le ver était déjà dans le fruit, se souvient Pascal Besson, délégué central CGT chez Atos France. C’était quelqu’un pour le moins orgueilleux et il a projeté cet orgueil sur Atos : il fallait que l’entreprise soit la plus grande, la plus belle ».
Thierry Breton s’est même livré à une frénésie d’achat. Des start-up comme de grosses structures ont été englouties. Certaines avec un certain succès, comme l’OPA sur l’entreprise Bull en 2014, devenue une des pierres angulaires de la division big data security d’Atos. Le groupe alors ne s’endettait pas pour racheter, mais accumulait des fonds propres. « On appelait ça les “freezes” : on gelait les budgets pour racheter des boîtes, raconte Pascal Besson. Certaines années, les formations étaient bloquées pour l’année dès le mois de février ! Et je ne parle même pas de la progression salariale… » L’intégration des entreprises rachetées n’était pas vraiment une préoccupation.
Frénésie d’acquisitions
« Des start-up arrivaient motivées et se rendaient compte, petit à petit, de la force d’inertie d’un groupe qui enchaînait les acquisitions. Rapidement, les salariés partaient, laissant juste leurs brevets », soupire l’élu CGT. Malgré ces lourdeurs, le groupe dépasse les 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018, compte 110 000 salariés et se rêve en leader mondial de la transformation numérique des entreprises.
Mais il en fallait plus pour Thierry Breton : il voulait conquérir l’Amérique. En juillet 2018, Atos s’endette – ce qui n’était pas dans ses habitudes – pour acheter Syntel, entreprise de services informatiques présente sur le marché états-unien, mais avec surtout de nombreux sites offshore en Inde, où se situent la majorité de ses travailleurs. « Avec le recul, je me dis qu’on a déboursé presque quatre fois trop pour racheter Syntel, 3,4 milliards de dollars alors qu’elle ne faisait même pas 1 milliard de chiffre d’affaires, déplore Pascal Besson. Avec les dettes, la situation a empiré. Atos ne formait plus ses salariés, n’a plus investi dans de nouveaux projets… »
Errements stratégiques
En 2019, Thierry Breton quitte le navire, peu après que le Crédit suisse a lancé une alerte sur l’état des comptes d’Atos. Son départ est accueilli sur le moment avec soulagement. « Il avait des marottes. Par exemple, du jour au lendemain, il a décidé qu’Atos deviendrait une entreprise zéro mail parce qu’on en envoyait trop, selon lui. Alors on est parti en quête d’outils pour les remplacer, on a encore perdu du temps et de l’argent avant de revenir en arrière », illustre Pascal Besson.
Il raconte aussi que jamais, en plus de dix ans à la tête du groupe, Thierry Breton n’a rencontré les salariés, même s’il était souvent à son bureau du dernier étage du siège. « Un jour, lors d’un mouvement de grève pour des augmentations de salaires, une délégation a voulu monter le rencontrer pour discuter : ils n’ont vu qu’une rangée de vigiles qui leur bloquaient le chemin. C’est le plus proche de lui qu’on ait pu aller », sourit avec amertume le cégétiste.
Le fait que Thierry Breton soit aujourd’hui regretté en dit long sur la qualité de ses successeurs. Et ils furent nombreux ! Aucun n’a duré plus d’un an, ces dernières années. Peut-être que cela explique les errements stratégiques. Un édito du journal « le Monde » suggérait qu’Atos avait « raté le virage de l’outsourcing », autrement dit des délocalisations massives de la force de travail… L’exemple est donné de Capgemini, autre géant français du numérique, qui compte 180 000 travailleurs en Inde.
« À contre-courant de tous les grands acteurs du marché »
« À cette époque, Breton a été à contre-courant de tous les grands acteurs du marché. Il a refusé les délocalisations en Inde (ce qu’on ne peut pas lui reprocher), mais surtout il continuait à grossir sur l’infogérance en déclin, quand tous ses concurrents investissaient dans le cloud », pointe Fabien Gay.

©️ PHILIPPE HUGUEN / AFP
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Au moment de la pandémie et de l’explosion des services informatiques à distance, Atos s’est vu contraint de conclure un partenariat avec Google Cloud, ratant ce virage en général et celui du « cloud souverain » en particulier. Un loupé gravissime.
Atos n’est pas n’importe quelle entreprise. C’est celle qui est derrière les systèmes informatiques de votre carte Vitale, de la Caisse nationale d’assurance maladie, des allocations familiales, de la plateforme de déclaration des impôts en ligne ou encore du logiciel de gestion des cartes d’identité et des passeports.
D’un point de vue plus régalien, c’est aussi Atos qui gère le portail des douanes, les systèmes de communication des forces armées, des logiciels de gestion des centrales nucléaires… « Le gouvernement a tardé à prendre en compte le sérieux de la situation, déplore Fabien Gay. À mon avis, au lieu de donner de l’argent sans contrepartie ou de vouloir acheter les supercalculateurs, l’État aurait dû entrer au capital d’Atos ; cela aurait rassuré les créanciers, et permis de pérenniser tous ces contrats publics. »
L’abandon des petits clients et le début de la débâcle
La CGT suggère aussi d’autres pistes pour expliquer la débâcle. « Petit à petit, la direction nous a fait abandonner tous nos petits clients pour se concentrer sur ceux qui font plusieurs millions d’euros », explique Pascal Besson. Exit les agences locales Orange ou encore France Travail. « Tous ces contrats mis bout à bout rapportaient et nous ancraient dans le territoire. En les abandonnant, on a commencé à perdre du chiffre d’affaires », soupire l’élu CGT.
Peu après le rachat de l’états-unien Syntel, la direction a voulu s’inspirer de son organisation et séparer les activités en « industries » (réseaux et télécoms, banques et assurances, services publics…), avec des équipes dédiées, plutôt qu’une organisation transversale où les moyens étaient mutualisés. « Ils ont appelé ça Spring, poursuit Pascal Besson. Le concept en soi, déjà, a coûté une fortune en cabinets de conseil ! Au final, ils avaient tellement de mal à nous l’expliquer en CSE que ça n’a jamais été vraiment appliqué, mais cela a conduit à la scission du groupe. »
En 2022, les activités d’infogérance sont regroupées dans Tech Foundation, qui garde le nom d’Atos au quotidien. Chez Eviden, on retrouve les supercalculateurs, la cybersécurité et les services cloud. La CGT a sorti sa calculette. Entre les frais de cabinets de conseil, d’avocats, de banques d’affaires et les coûts de la réorganisation, la séparation d’Atos en deux entités a coûté 1,8 milliard d’euros ! « C’est tellement démesuré qu’on se demande s’il n’y a pas eu de la corruption derrière », déplore Pascal Besson.
Après la scission, la re-fusion ?
Le nouveau directeur général fraîchement nommé, Philippe Salle, aurait l’intention de refusionner les deux entités. « C’est bien la seule bonne nouvelle récente qu’on a, il semble comprendre que les activités des deux entités sont complémentaires. Mais cela risque d’encore coûter près de 1 milliard en restructuration », craint le cégétiste.
C’est en 2022 aussi que les premiers vautours ont commencé à tourner autour du groupe. Son gros problème reste alors le poids de sa dette. Le remboursement des emprunts est totalement financé par de nouveaux prêts, et le groupe commence à vendre des activités rentables lorsque les dettes arrivent à échéance : Worldline (services de paiement) ou encore Worldgrid (transport et distribution d’énergie) pour 270 millions d’euros. La direction du groupe entendait même vendre toute l’activité d’infogérance. Le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky en proposait 100 millions d’euros et la reprise de 1,9 milliard de dettes, pour une filiale qui réalise 5,4 milliards de chiffre d’affaires… Le groupe se retrouve avec 3,65 milliards d’euros de dette à apurer avant fin 2025.
Quand les créanciers prennent les rênes du groupe
Après la rétractation de l’offre de reprise de David Layani, patron de Onepoint, c’est aux créanciers d’Atos que le tribunal de commerce a confié les rênes du conseil d’administration de l’entreprise, mi-octobre 2024 : 2,9 milliards d’euros de dette ont été transformés en capital, et ils ont tellement dilué le titre qu’on peut s’acheter aujourd’hui plus de 1 000 actions d’Atos pour le prix d’un… café.

©️ FRANCOIS HENRY / RÉA
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Ce n’est qu’un sursis : le mur de la dette est simplement reporté à 2029. Pire, ces dernières semaines, les créanciers ont tout fait pour protéger leurs intérêts dans le cadre d’une vente à la découpe du groupe. « Ils nous ont dit qu’ils avaient mis toutes les activités d’Atos dans une holding de droit luxembourgeois, elle-même possédée par une autre aux Pays-Bas. On a été outrés d’apprendre ça », se scandalise Pascal Besson. Un groupe qui réalise plus de 60 % de son chiffre français sur de la commande publique fait de l’optimisation fiscale ? « C’est une honte absolue cette “délocalisation”. Surtout que l’état est venu au secours de l’entreprise », renchérit Fabien Gay.
https://www.humanite.fr/social-et-economie/atos/1-000-actions-pour-le-prix-dun-cafe-atos-la-chronique-dune-debacle
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