De la tête d’Atos à l’exécutif européen : Thierry Breton, enquête sur un commissaire mystère [LIBÉRATION]

EXCELLENT ARTICLE-ENQUÊTE DE LIBÉ assez exhaustif sur les témoignages pro et contre Breton.
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 – COPYRIGHTS LIBÉRATION –

Fidèle de Bernard Arnault, proche d’Emmanuel Macron, rival d’Ursula von der Leyen… Le commissaire européen bouscule les codes de Bruxelles et défie les géants du numérique. Il se retrouve fragilisé par le fiasco d’Atos, ex-fleuron de l’informatique qu’il a longtemps dirigé.

par Sophie des Déserts

publié le 7 avril 2024 à 20h54
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Pourquoi faire dans la dentelle ? Thierry Breton est réputé pour ses sorties dont s’amusent, mi bluffés-mi agacés, les cercles de pouvoir, entre Bruxelles et Paris. A l’Elysée, elles sont même devenues un running gag sur le thème : «Tu connais la dernière de Breton ?» Le commissaire européen, 70 ans, ex-ministre de l’Economie sous Jacques Chirac, est toujours au taquet, mèche argent, débit survolté, sur toutes les ondes, sur tous les fronts : réindustrialisation du continent, création d’une politique de défense commune, régulation du numérique et de l’intelligence artificielle… A l’entendre, tout sur ses épaules. Il semble omniprésent, omniscient, fabuleux Zelig du XXIe siècle, passionné d’Afrique et d’Asie, ami de Bill Gates et de Bernard Arnault, expert en cloud et en physique quantique…

Génie visionnaire ou roi de la com ? Thierry Breton est une énigme même pour ceux qui le connaissent, tous ces proches rencontrés, ses compagnons de route dans le business, la politique, ses vieux amis, les François, Baroin, Bayrou, Alain Minc, ses complices passés à Bruxelles, Jean-Claude Juncker, ex-président de la Commission européenne, Peter Altmaïer, ministre de l’économie sous Angela Merkel, Michel Barnier, et les nouveaux macroniens, sans compter ceux qui l’ont côtoyé chez Atos. Breton a dirigé jusqu’en 2019 ce fleuron informatique aux activités stratégiques, aujourd’hui à terre, criblé de dettes, au point que des députés appellent à le nationaliser. «Zero responsibility», assène le commissaire, il l’a encore dit devant la commission d’information sénatoriale qui enquête sur le crash. «Go, go, go», Breton peut se targuer de redynamiser les usines d’armements, de lancer de nouveaux satellites européens, même de rappeler à l’ordre les nouveaux maîtres du monde, Mark Zuckerberg (Meta), Sam Altman (OpenAI), et Elon Musk (Tesla, X). Il y a toujours un peu de vrai, un sens inouï du storytelling, et un sacré culot.

Le 7 mars, Breton a dégainé un tweet salé contre la présidente de la Commission européenne, candidate déclarée à sa succession, le jour même, lors du congrès de son parti conservateur, le Parti populaire européen (PPE). «Malgré ses qualités, Ursula von der Leyen mise en minorité par son propre parti. La vraie question désormais : est-il possible de (re)confier la gestion de l’Europe au PPE soit cinq ans de plus, soit vingt-cinq ans d’affilée ?» Sidération à Bruxelles : un commissaire ciblant sa supérieure, Ursula von der Leyen, la dame de fer contrôle freak, à la tâche jour et nuit, l’ex-ministre de la Défense allemande poussée en 2019 par Emmanuel Macron. Von der Leyen, sonnée, a reçu de nombreux messages de soutien, notamment de ses homologues féminines à la tête de grandes institutions, telle Christine Lagarde, vigie de la Banque centrale européenne, toutes outrées par ce tweet jugé peu confraternel et légèrement misogyne.

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Entre Elon Musk et Beyoncé

Breton, lui, semble ravi, ce mercredi 20 mars, teint de rose et costume soyeux dans son bureau tout en longueur, au 10e étage de l’immeuble Berlaymont, siège de l’exécutif européen. «Sachez-le, je ne fais rien au hasard, j’attends le bon moment. Madame von der Leyen venait de signifier qu’elle était candidate à sa succession, sortant ainsi de sa neutralité, c’est totalement inédit. Voilà, au moins c’était dit : la campagne a démarré, torpille-t-il, mocassins à talonnettes tapotant la moquette. Un œil taquin vers son fidèle communicant depuis Atos, Terence Zakka : «J’ai le droit de dire, Terence ?» Et Breton glisse que Macron, vu quelques jours plus tôt, «a adoré» son tweet.

Il ne précise pas que c’était à l’Elysée, lors d’un dîner en petit comité organisé pour l’ultime décoration de son ami Bernard Arnault, élevé au stade de grand-croix de la légion d’honneur. A table, il y avait, outre la famille, Jeff Koons, Jay Z, Beyoncé, et Elon Musk, avec lequel le magnat de LVMH rivalise pour le titre d’homme le plus riche du monde.

Thierry Breton s’étend peu sur ses liens avec Bernard Arnault, rencontré dans le club patronal «Entreprise et cité», créé il y a plus de trente ans. «Avec Bernard, on se parle tout le temps. La vie nous a appris à avoir confiance l’un envers l’autre.» Un proche du milliardaire confirme : «Breton est l’un des seuls politiques qu’il estime.» On le lui rapporte, il en a les yeux humides, se redresse : «Allez, ça, c’est de l’intime.»

Breton s’apprête à accueillir le chef du gouvernement portugais, puis le ministre de la Défense de l’Ukraine à qui il a annoncé un peu vite la livraison de 1 million d’obus«J’ai fait le tour des usines, on va y arriver», promet Breton. Derrière lui, de grands drapeaux européens, une carte de l’île de Gorée, au Sénégal, où il a racheté la maison de Léopold Sédar Senghor, ses trois enfants en photos et lui, jeune, avec Chirac. Il n’a quasiment pas changé, même chevelure crantée, et cette petite bouche espiègle qui trépigne et professe, quelque chose de Louis de Funès, le charme en plus.

Breton est en campagne, avec le fol espoir de conquérir la présidence de la Commission européenne. Ses chances sont infimes, au vu des sondages annonçant un score médiocre de Renew, la victoire du PPE, une poussée de l’extrême droite. «On ne sait jamais, fantasme son entourage. Breton est l’homme des crises.» Il a bien débarqué sur le gril à Bruxelles, en octobre 2019, sollicité au pied levé par Macron pour remplacer Sylvie Goulard, rejetée par les députés européens en raison de ses liens avec un think tank américain, à la fureur de l’Elysée. L’enjeu était capital pour la France qui avait négocié un poste au portefeuille XXL : le marché intérieur, l’industrie de l’espace, la défense. Choix risqué, inédit, de le confier à un patron du CAC 40, Breton, le magicien d’Atos disait-on alors. Il s’est vite imposé, à la tête d’une administration de 1 000 fonctionnaires, médiatique, suractif, porté par les vents houleux de l’histoire, le Brexit, l’isolationnisme trumpiste, le Covid, la guerre en Ukraine… «Breton est arrivé au moment où tout a concouru à une demande d’Europe plus forte», observe Jean-Claude Juncker, l’ancien président de la Commission européenne.

«Un renard du Medef dans le poulailler européen»

A Bruxelles, les députés macroniens peuvent s’amuser des fatuités de Breton, mais tous admirent son énergie, de Nathalie Loiseau à Gilles Boyer, jusqu’à Bernard Guetta, louangeur : «Il a été le premier à sonner l’alarme, après le plan de redressement industriel de Biden. C’est l’un des rares à donner un visage à la Commission et à agir en politique, le plus essentiel, le plus capé.» Le député LR Geoffroy Didier salue aussi «un volontarisme, une vraie vision». La gauche est plus critique envers ce libéral assumé, «le porte-parole des grands patrons à Bruxelles, selon Manon Aubry, un renard du Medef dans le poulailler européen». Mais Raphaël Glucksmann, tête de liste du PS et de Place publique aux européennes, confesse avoir vaincu ses préventions : «Breton, il incarne, il fait avancer ses dossiers, c’est un showman, sympathique, drôle, un peps de dingue. On n’a pas la même vision sur la question sociale et la transition écologique mais sur la politique industrielle, comme sur l’Ukraine, on est en phase.» Les étrangers ont souvent plus de mal avec ce commissaire, «symbole de l’arrogance française». Aux cabinets d’Ursula von der Leyen et de la Danoise Margrethe Vestager, commissaire à la concurrence, après quelques politesses d’usage, les langues claquent : «C’est compliqué avec Breton, il n’est pas du tout collégial, un enfer.»

Il l’assume, dit «en politique, il faut prendre la place sinon on est mort». Leçon de son mentor, René Monory, l’ex-mécanicien devenu député UDF, baron du Poitou, ministre de l’Economie, rencontré au mitan des années 80 grâce à son épouse, alors assistante parlementaire. Breton était un Bel-Ami, version ingénieur, diplômé de Supélec, fils d’un ponte du CEA, créateur d’une petite société de logiciels à New York, révélé par un thriller informatique, Softwar, vendu à 100 000 exemplaires en 1984, qu’il n’a pas écrit. «Il voulait raconter une histoire de piratage entre les Etats-Unis et la Russie. Il m’a contacté car nous avions tous deux été profs au lycée français de Manhattan, se souvient son co-auteur Denis Beneich. J’ai pris la plume, il commentait, il a fait la promo seul puis il a cédé les droits sans m’en parler. J’ai dû faire un procès que j’ai gagné. Mais il avait réussi, il m’avait dit : «Il me faut un livre pour me lancer en politique.»»

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«Il pète plus haut que son cul»

Breton est ainsi devenu le petit prince de l’informatique, geek avant l’heure décryptant le nouveau monde numérique aux politiques béats, et d’abord donc à Monory dont il fut le conseiller au Futuroscope, puis au ministère de l’Education nationale. C’était l’époque des Amstrad, du plan «informatique pour tous», premier contact avec le fondateur de Microsoft, Bill Gates, pour négocier des licences dans les écoles. Breton a assisté aux prémices d’Internet, vite saisi la puissance, les dangers, tôt alerté sur le piratage. «C’est le premier à m’avoir conseillé de placer mon téléphone dans une cage de Faraday», glisse son ami François Baroin. L’ingénieur en a ainsi impressionné plus d’un chez les copains francs-maçons, dans les arcanes de la chiraquie.

Ascension fulgurante, Breton fut nommé, en 1996, vice-président de Bull, chargé de la privatisation, puis un an plus tard, à la tête de Thomson et en 2002, de France Télécom, toujours chargé de restructurer, non sans casse. Le voilà, en 2005, ministre de l’Economie et des Finances, se flattant d’avoir fait baisser la dette, surtout grâce à des privatisations massives et controversées d’EDF et des autoroutes notamment, et quelques artifices comptables, pointera la Cour des comptes. Puis Jacques Chirac a quitté l’Elysée, priant son successeur de recaser son bien aimé «Thierry», en vain. Nicolas Sarkozy a toujours détesté Thierry Breton et vice-versa. «Il pète plus haut que son cul», s’est souvent agacé le premier en petit comité. Le second, lui, raconte volontiers qu’il a vu de trop près les petites cuisines de son prédécesseur à Bercy.

Passage à vide, Breton a donné quelques cours de gouvernance à Harvard – Paris Match aussitôt invité à l’immortaliser sur la pelouse, un peu de consulting pour le fonds KKR, et la banque Rothschild. Il espérait un poste à sa mesure : Airbus, Carrefour, Renault…

Sur le yacht de Bernard Arnault

Mais ce fut finalement Atos, un groupe de services informatiques de deuxième division. «Boîte de merde, pestait Breton. Mais on va en faire un truc énorme.» Il recrute quelques ex-collaborateurs fidèles, eux au turbin, lui plein pot sur la stratégie, la com, peu d’interactions avec les salariés. «C’est avec lui que j’ai découvert le gel hydroalcoolique», s’amuse un ancien ponte d’Atos. «Breton déteste serrer les mains, rencontrer les gens.» Il déjeune avec tous les communicants de Paris, les banquiers d’affaires, multiplie les acquisitions, le nez sur le cours de Bourse. Il brille, confère, distingué parmi les 100 meilleurs dirigeants du monde par la Harvard Business Review. Il vit dans une bulle, avec son chauffeur, qui habite chez lui, ouvre les portes, tend les blazers. Il est abonné à une compagnie de jet, fait un saut dans son loft de New York, son Sénégal adoré, un peu de farniente sur le yacht de Bernard Arnault.

Leur amitié s’est solidifiée au fil des épreuves, des succès, des services rendus à Bercy et après, quand le patron de LVMH a missionné Breton, en 2014, pour apaiser la guerre lancée contre Hermès après sa tentative d’OPA avortée, et pour prendre la tête d’un comité des sages, désormais caduque, chargé de gérer sa succession. Les épouses aussi s’entendent à merveille. Voilà le monde de Breton, même s’il dit, en bon protestant, détester l’argent, les mondanités, rien n’aimer davantage que les marches dans la Creuse où il possède une propriété et, depuis, peu un château du VIIIe siècle. «C’est là, à la campagne, que je me ressource, que je réfléchis. Il m’arrive même d’écrire des poèmes.» Breton carbure depuis toujours à un régime strict, pas d’excès, peu d’alcool, coucher à 21 h 30, lever à 4 heures, vélo d’intérieur, lecture de la presse, rafale de SMS à ses lieutenants. L’un d’eux : «Il traverse chaque matin le pont d’Arcole.»

C’est lors du rachat de Siemens, en 2011, que le dirigeant d’Atos a fait la connaissance du banquier de Rothschild chargé d’apprécier la valeur du deal, Emmanuel Macron. Son visage, croisé à Bercy quand il était jeune inspecteur des finances, lui dit vaguement quelque chose. «Macron, Micron», s’amuse-t-il alors. Et Macron, lui, découvre l’«Alain Delon du business». Pas d’affinités spéciales donc, malgré quelques dîners partagés avec Brigitte Macron et François Hollande. Breton préfère le président qu’il croise en voisin, dans le XIVe arrondissement de Paris, au pied de sa somptueuse maison d’architecte. «Breton vient me voir en 2016 pour me proposer un fonds européen sur la défense, judicieux mais difficilement applicable», indique François Hollande. Le patron d’Atos, qui a pour gros client l’Europe, sollicite aussi Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne, emballé : «Nous faisions tous deux le constat que la politique européenne de défense n’existait pas, que nous manquions d’indépendance.» Discussions similaires avec Michel Barnier, l’ancien négociateur du Brexit qui lui décrypte les arcanes bruxelloises. Le PDG d’Atos échange aussi avec Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif, félicité pour son combat contre ArcelorMittal : «Breton me dit même qu’il aurait dû à son époque avoir le courage de bloquer la vente.» Etrange mélange des genres, la politique toujours. «Au fond, il n’y a que ça qui intéresse Thierry, servir son pays, l’intérêt général», pense François Baroin, fidèle partenaire de pêche dans la Creuse. «Et puis il adore la baston, l’exposition, il n’a pas peur.»

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Pas de pot de départ

Breton revoit Macron avant sa nomination à Bercy, apprécie son directeur de cabinet, Alexis Kohler. Il envoie des notes, multiplie des tribunes sur la nécessaire régulation des Gafam, se targue dans le Tout-Paris d’être en lice pour Matignon. Le chef de l’Etat ne réagit pas. Peut-être est-il sensible au jugement cinglant de quelques proches, dont Claude Serra, l’avocat d’affaires qui l’a défendu, en 2017, contre les fausses accusations de compte offshore, et qui a rompu avec Breton, après des années d’intense complicité. «Je ne veux plus entendre parler de ce monsieur», cingle-t-il au téléphone. Mais d’autres fidèles du chef de l’Etat, Maurice Levy, Bernard Arnault, et aussi le patron du Modem, François Bayrou, soufflent fort le nom de Thierry Breton, quand Sylvie Goulard est recalée devant le Parlement européen. Macron déclenche donc le plan B, coup de fil à l’heure du dîner. Le lendemain, le patron d’Atos convoque ses proches collaborateurs : «Appel du président, je pars à Bruxelles !»

Adios sans dire au revoir, sans pot de départ, il liquide ses actions. «Attendez un peu pour éviter les soupçons, une enquête», conseillent des proches, qui savent Atos en surchauffe. «Tout doit être au cordeau, tranche le PDG, qu’il n’y ait plus le moindre lien, le moindre soupçon.» Argument imparable, fabuleux timing. Breton vend ses titres Atos au prix fort, autour de 65 euros (elle en vaut 1,88 euro aujourd’hui). Jackpot : 40 millions d’euros brut. Sans compter cette retraite chapeau qu’il demande à lisser chaque année dans le bilan financier et à toucher à l’issue de son mandat de commissaire, pour éviter les scandales. Elle est, selon nos informations, gérée par Axa, pour un montant d’environ 14 millions d’euros brut.

Breton anticipe tout, il démissionne du Siècle, ce club d’influence susceptible d’entacher son indépendance. Il bûche jour et nuit son grand oral, fiches techniques commandées aux directions de la Commission hallucinées, comme s’il était déjà en poste. Le candidat manœuvre avec un fin poisson, Fabrice Comptour, un ingénieur lui aussi, repéré à la commission défense. Carton plein devant le Parlement européen. Et Breton s’installe à Bruxelles, loin des siens, en petit commando, comme toujours, avec de solides janissaires, hauts fonctionnaires, et son communicant d’Atos.

«Vaccin tour»

Avec eux, Breton s’applique à donner corps au discours inaugural de Macron à la Sorbonne sur la souveraineté européenne, et aux missions fixées par Ursula von der Leyen, notamment sur la régulation du numérique. «Thierry a vite embrayé sur les sujets de souveraineté qu’on a portés avec le président, dans le domaine de l’industrie, du numérique, de l’espace, des satellites…», se félicite Bruno Le Maire. Le commissaire français a secoué la machine bruxelloise, initialement libre-échangiste. Son arme numéro 1, toujours : la com. «C’est quasiment théorisé chez lui», précise-t-on dans son cabinet. Télé, radio, presse, réseaux sociaux, Breton annonce, prend à témoin les citoyens. Il dit que l’Europe est forte, qu’il s’empare du problème, pressurise ses équipes, l’administration. C’est ainsi qu’il a pris la main sur le dossier des vaccins contre le Covid. «On disait que les contrats étaient signés, en attendant que ça se passe…», fulmine encore Breton.

Il convainc Von der Leyen d’instaurer une task force, prône un bras de fer avec les Etats-Unis, appelle les patrons des labos, recense les besoins, les blocages. Il lance un «vaccin tour» et beaucoup d’autres suivent, le Covid puis la guerre en Ukraine ayant mis à nu les faiblesses de l’Europe. Après l’«energy tour», le «munitions tour» – 18 sites de production jusqu’au fin fond de la Bulgarie, puis le «chips tour», afin d’évaluer le marché des semi-conducteurs, vitaux pour l’économie, et fabriqués pour moitié à Taiwan. Breton prend conscience d’à quel point les Européens, leaders sur la recherche, sont à la traîne, mais découvre qu’une pépite néerlandaise fournit toutes les machines fabriquant des semi-conducteurs, dans le monde entier. Il convainc le Parlement de voter un «chips act», 43 milliards d’euros d’investissement annoncés, 67 usines en construction. «Donnez des chiffres, si vous maîtrisez l’information en terme chiffré, vous contrôlez le narratif», dit-il à ses mousquetaires, parfois liquéfiés de le voir s’avancer si vite.

«Le social, ce n’est pas vraiment son truc»

Breton est résolument probusiness, pronucléaire, pro-industrie automobile, au grand dam des écologistes qui l’ont vu batailler pour permettre des aménagements aux constructeurs, avant la fin annoncée des moteurs essence, diesel ou hybride, à l’horizon 2035. Il a refusé de soutenir le droit des travailleurs des plateformes en ligne, comme le gouvernement français. «Quand on l’a interpellé sur ce sujet, comme sur le devoir de vigilance, en matière de droits humains, sur les chaînes de production, il a fait le mort, regrette la députée européenne PS Nora Mebarek. Le social, ce n’est pas vraiment son truc.» Mais tout le monde lui reconnaît d’avoir rempli sa mission : encadrer autant que possible la jungle numérique, avec les règlements du Digital Service Act (DSA) et du Digital Market Act (DMA). Breton adore ferrailler contre les magnats américains, Mark Zuckerberg, le fondateur de Meta, qui débarque à Bruxelles comme un chef d’Etat, Elon Musk, le PDG de Tesla et SpaceX qu’il est allé rencontrer au Texas, vidéo illico postée sur les réseaux sociaux. «In Europe, the bird will fly by our rules [en Europe, l’oiseau volera selon nos règles européennes, ndlr]», rappelle le commissaire, quand le milliardaire rachète Twitter, devenu X. Il l’a encore récemment sommé de s’expliquer sur la suppression éphémère du compte de la veuve de Navalny, déclare lutter contre les fake news, annonce une enquête contre TikTok, en février, «pour protéger le bien-être physique et émotionnel des Européens».

De l’incantation, peut-être, mais au moins, un début de résistance, l’Europe est le seul continent à agir. «Le cabinet de Biden nous a même félicités d’ouvrir la voie», se réjouit Breton, qui a été la cible d’un intense lobbying des Gafam. Et quand le fondateur de ChatGPT, Sam Altman, a tweeté «Si l’Europe régule trop, on se retirera», le commissaire a illico répliqué : «Il ne sert à rien de faire du chantage…» avant de s’inviter au siège d’Open AI, à San Francisco, en juin 2023. «Je veux comprendre comment fonctionne cette société qui va bouleverser nos univers mentaux, indique Breton. Je tombe sur une PME dans des locaux somptueux, un vendredi, avec dix personnes. Je pose des questions précises sur la localisation de leurs serveurs, les sources qu’ils utilisent pour nourrir l’IA. On me répond de manière évasive, tout n’est pas clair, ça alimente notre réflexion sur la régulation de l’IA.» Il a promu une législation fondée sur les risques, dénoncé l’intense pression des lobbyistes, dont celui de Cédric O, l’ancien secrétaire d’Etat au numérique, devenu riche actionnaire et conseil de la pépite française Mistral AI. Cinq ans aura-t-il fallu pour qu’un premier règlement soit voté devant le Parlement européen.

Mais Breton va terminer son mandat, sans avoir fait aboutir son projet de constellation européenne de satellites. Et le retard d’Ariane 6 oblige toujours à utiliser les lanceurs américains de Space X. Combien de fois a-t-il pesté, «si je m’en occupais, les fusées marcheraient déjà !» On ne s’en offusque plus à l’Elysée : «Au moins, Breton est un doer», un faiseur, il prend des risques, s’active, délivre. Et puis, il n’est pas de ceux, désormais nombreux, même dans le premier cercle, qui étrillent le Président. «C’est pas bien de faire ça, s’indigne le commissaire européen, soudain grave. C’est méconnaître la charge et la solitude inhérente au pouvoir.» Macron a appris à apprécier Breton. Sans le naufrage d’Atos, il eut été utile dans l’inquiétante campagne des européennes.

https://www.liberation.fr/politique/fiasco-datos-au-senat-thierry-breton-fait-sa-dette-de-mule-20240407_TU42K7LBTJDFJLKPJ5FWJ3RVFQ/?redirected=1

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