Engagé dans un processus de transformation globale, Atos compte toujours boucler la scission de ses deux entités au second semestre.
Qu’il semble loin le temps où Atos était considéré comme la pépite française des services du numérique et où son patron d’alors, Thierry Breton, accumulait les distinctions pour avoir orchestré son changement de dimension…C’était pourtant il y a quelques années seulement. L’intégration au sein du Cac 40 en mars 2017 sonnait alors comme une consécration. De courte durée, puisque Atos ne sera resté que quatre ans dans l’indice phare, jusqu’à son remplacement par EurofinsScientific en septembre 2021.
Publié par Investir. Edition papier du 12/05/2023.
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Entre son entrée et sa sortie du Cac 40, le cours du titre a été divisé par deux, chutant d’environ 90 € à 45 €. Pire encore, la dégringolade s’est largement accentuée depuis, puisque l’action Atos se négocie, jeudi 11 mai, à un peu plus de 12 €, valorisant la société 1,5 milliard, dix fois moins qu’il y a cinq ans. S’il est délicat de déterminer précisément le moment où Atos a commencé à péricliter, les analystes pointent la stratégie agressive d’acquisitions menée au milieu des années 2010. Une « croissance à marche forcée » qui s’est révélée être un fardeau. « Les opérations ne semblaient pas chères mais concernaient des métiers déjà en manque de perspectives », se remémore Nicolas Thorez, analyste chez Oddo BHF. Le nouvel Atos, un mastodonte à plus de 100.000 salariés, formait par ailleurs un ensemble disparate constitué d’un cœur de métier(l’infogérance) en perte de vitesse et d’autres pôles d’activité bien plus dynamiques (cloud, intelligence artificielle, cybersécurité, big data et activité de paiement avec Worldline).
Plombé par la pandémie de Covid-19 et par la découverte de « plusieurs points de faiblesse de contrôle interne » dans deux filiales aux Etats-Unis, Atos a subi de lourdes pertes en 2021 puis en 2022, ne lui laissant d’autre choix que de se recentrer vers ses activités à plus forte croissance. Le tout sur fond de crise de gouvernance, avec en point culminant la démission de Rodolphe Belmer de son poste de directeur général en juin 2022, neuf mois après sa prise de fonctions, en raison de désaccords avec le conseil d’administration. L’option retenue, poussée par le président du conseil, Bertrand Meunier, fut celle d’une scission en deux entités distinctes, chacune cotée en Bourse. La première entreprise du nouvel ensemble regroupe les activités historiques, commercialisées sous la marque Tech Foundations (TFCo), et conservera le nom d’Atos. La seconde, où sont logées les« joyaux de la couronne » (big data, cybersécurité), a pris le nom d’Evidian, depuis rebaptisée Eviden. Atos prévoit de distribuer la majorité (70 %) du capital de cette dernière à ses actionnaires et d’utiliser le produit de la cession des 30 % restants pour financer les coûts de restructuration de TFCo, évalués à 1,1 milliard d’euros.
Les marques d’intérêt n’ont pas manqué pour Eviden, notamment de la part d’Orange et de Thales, mais c’est avec Airbus qu’Atos est entré en négociations exclusives mi-février, avant que l’avionneur renonce au projet sous la pression du fonds activiste TCI fin mars. Trois semaines auparavant, Thales avait également annoncé qu’il excluait toute offre sur Eviden lors de ses résultats annuels. Et Orange ne s’est pas officiellement positionné non plus.
Parmi les prétendants en embuscade, le cabinet de conseil en transformation numérique OnePoint a formulé une proposition chiffrée dès septembre 2022 sur une valeur d’entreprise de 4,2 milliards d’euros, soit autour de 900 millions hors dette. Une offre snobée par le conseil d’administration d’Atos, qui réclame autour de 4 milliards hors dette, donc environ 1,2 milliard pour 30 % d’Eviden. « C’est une valorisation complètement excessive», juge Nicolas Thorez, précisant que « la somme demandée valorise Eviden sur des multiples très supérieurs à Capgemini, de l’ordre de 12 fois l’Ebit 2025 », contre 7,8 fois pour le pensionnaire du Cac. Considérée comme peu sérieuse il y a quelques mois, l’option OnePoint prend de l’épaisseur depuis le retrait d’Airbus. « David Layani (patron du groupe) a l’entourage politique pour avancer ses pions »,relèvent plusieurs analystes.
L’opération reste néanmoins difficile à concevoir tant la différence de taille entre OnePoint et Eviden est importante, le premier cité pesant environ 10 fois moins que le second. Une autre option mène à Astek, groupe français d’ingénierie et de conseil qui a fait part de son intérêt pour la reprise d’une partie des activités d’Eviden, précisant avoir approché des partenaires financiers (dont Tikehau) pour l’aider à monter l’opération. Mais là encore, les observateurs s’interrogent sur la capacité du groupe à avaler un acteur de cette envergure. Bref, les négociations patinent. Cela n’empêche pas Atos de réaffirmer sa volonté de boucler l’opération au second semestre 2023. Objectif ambitieux, au vu du caractère stratégique de certaines activités d’Eviden (systèmes critiques de défense, cloud de combat, etc.), réduisant de facto le champ des acquéreurs potentiels aux seuls groupes tricolores. Or, les géants industriels français mentionnés ne semblent plus être sur les rangs.
La question est donc désormais de savoir de qui peut venir une offre surprise. « Une option est que Bercy et la BPI entrent au capital, avec Thales par exemple », avance un analyste suivant la valeur. Des fonds spécialisés dans le numérique pourraient également être tentés de se positionner. Mais ces hypothèses ne sont, à ce stade, que pure spéculation. Une piste plus concrète est celle d’une cession complète de l’entité TFCo, sur laquelle Atos a d’ailleurs conduit des discussions exploratoires avec le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Selon le plan envisagé, l’homme d’affaires ne débourserait pas un centime pour prendre le contrôle de cette division. C’est au contraire Atos qui lui verserait plusieurs centaines de millions d’euros pour assurer le besoin en fonds de roulement de TFCo. Mais l’homme d’affaires s’est montré « trop agressif, réclamant 800 millions, quand Atos serait disposé à en verser environ la moitié », relate Nicolas Thorez.
Les négociations menées depuis des mois avec différents acteurs sont en outre rendues encore plus complexes par la trajectoire opérationnelle des deux entités scindées, TFCo se redressant plus vite qu’escompté quand la croissance d’Eviden ralentit en même temps que ses marges s’érodent. « Le marché s’aperçoit que le mal est moins profond que prévu et que la valeur intrinsèque des actifs est supérieure à ce que l’on pensait chez TFCo », pointe Nicolas Thorez.
L’avenir d’Atos reste donc à ce stade un chemin pavé d’incertitudes.