Atos: tensions au sommet sur l’avenir stratégique de la pépite technologique (Le FIGARO)

RÉCIT – Le directeur général et le président du conseil d’administration divergent sur le meilleur scénario à adopter.

À quatre jours de la présentation du très attendu nouveau plan stratégique d’Atos, les tensions qui divisent son plus haut niveau hiérarchique depuis plusieurs mois peinent à rester une affaire interne. Rodolphe Bellmer, son directeur général, et Bertrand Meunier, le président du conseil d’administration, sont à couteaux tirés sur l’avenir à dessiner pour la société technologique française, très fragilisée depuis deux ans. Au cœur de ce bras de fer, la très sensible division Big Data & Security (BDS), qui regroupe les activités calcul de haute performance, cybersécurité et intelligence artificielle. C’est sur elle que reposent les perspectives de croissance et de rentabilité du groupe, par ailleurs plombé par le déclin de ses activités historiques d’infogérance. Ces dernières représentent encore presque la moitié du chiffre d’affaires global, malgré les efforts d’Atos pour accélérer sa transformation.

Pour donner à la branche BDS les moyens nécessaires à son développement, Rodolphe Bellmer a examiné toutes les options à sa disposition: une introduction en Bourse de ces activités afin de mieux refléter leur valeur mais compliquée par les conditions de marché très dégradées depuis quelques mois, une scission du groupe à la manière d’un IBM ou une alliance avec un autre partenaire industriel.

Mais le conseil d’administration a retoqué un premier plan stratégique, présenté par le patron d’Atos, le contraignant à décaler la promesse faite en début d’année aux investisseurs d’annonces pour le mois de mai. Bertrand Meunier, qui a pourtant piloté l’arrivée de Rodolphe Bellmer à la tête d’Atos, à l’automne dernier, en remplacement d’Elie Girard, aurait posé pour principes de conserver «l’intégrité et l’indépendance» du groupe, écartant de fait certaines options privilégiées par la direction générale. «Arriver à garder les deux est impossible», souffle un bon connaisseur du dossier. Du côté d’Atos, on reconnaît l’existence de certaines divergences au sommet, tout en les replaçant dans un contexte de discussions autour de tous les scenarios posés sur la table.

La pression sur Atos est forte de tous côtés. Les candidats intéressés par les activités d’Atos en matière de cybersécurité ne manquent pas.

Candidats sur les rangs

Thalès le répète ouvertement depuis plusieurs mois: il est intéressé par tout actif de cybersécurité disponible à la vente. Ses ambitions dans ce domaine sont très fortes. «Nous avons fait une croissance de 1 milliard d’euros en 2021. Notre objectif est une croissance de 50 % d’ici à 2024», réaffirmait son PDG, Patrice Caine, le 31 mai dernier. Ouvert à toute forme de structure, il exclut en revanche de reprendre d’autres activités que celles de BDS et ne lancera aucune opération hostile. Officiellement, aucune discussion n’a eu lieu, assure chacun des deux groupes.

Orange, lui-même en pleine réflexion sur sa filiale Orange Cyberdefense, est aussi intéressé mais seulement par une partie des activités de BDS. Et le groupe télécoms, qui vient de changer de gouvernance, planche sur son propre plan stratégique à présenter d’ici à la fin de l’année. Plus discret, Airbus, à travers sa filiale cybersécurité, serait aussi prêt à des coopérations. «Le découpage des activités stratégiques d’Atos est strictement impossible. C’est méconnaître l’imbrication étroite entre nos technologies de calculs et la cybersécurité avec le reste de l’activité», rappelait de son côté Bertrand Meunier dans une interview au Figaro en octobre dernier.

Seule certitude à ce stade: rien ne se fera sans l’aval de l’État français, à la fois client d’Atos et actionnaire des trois autres groupes cités. Il veut une solution française et pérenne. À plusieurs titres, l’avenir d’Atos est hautement stratégique pour la France. Acteur majeur dans le domaine du calcul haute performance et du quantique en Europe, Atos gère – entre autres – les supercalculateurs de l’Otan. Il fournit aussi plusieurs solutions technologiques pour le ministère de la Défense et est aussi l’architecte de la cybersécurité pour les Jeux olympiques de Paris 2024. La séquence électorale prolongée n’aide pas à la décision.

Cette attente d’un cap clairement fixé et cette mésentente au sommet n’aident pas non plus le groupe, comme en témoignent plusieurs départs en interne, ni sa valorisation boursière, dont la baisse continue le fragilise toujours davantage. Le titre a encore perdu 45 % depuis le 1er janvier, sa capitalisation est tombée à 2,2 milliards d’euros vendredi. «Atos fait l’objet d’une attente croissance de la part du marché en vue d’annonce à la fois sur un changement de périmètres et ses perspectives de redressement des performances opérationnelles», estime un analyste financier d’Oddo BHF dans une note publiée jeudi. Plusieurs voix se demandent qui décide aujourd’hui de la stratégie au sein d’Atos. Réponse le 14 juin.