«Je voyais cette boîte comme une pépite»: d’Atos à Casino, la grande déprime des petits actionnaires qui ont tout perdu [LE FIGARO]

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ENQUÊTE – Ces dossiers de restructuration ont abouti à des pertes massives pour les investisseurs individuels qui ont été dilués. Ils font les frais d’un droit faisant primer l’intérêt des entreprises sur leur droit de propriété. Nombre d’entre eux cherchent la parade et multiplient les actions en justice.

« Atos, c’est une société que je connais depuis longtemps. J’ai investi dessus il y a vingt ans en Bourse, elle fonctionnait bien. Mais ça a chuté ces deux dernières années. J’ai perdu 114.726 euros. Je ne sais pas ce qu’on peut faire pour ça. Vous n’auriez pas une solution ? » À l’autre bout du fil, Françoise *, la voix chevrotante, ne tente pas de masquer l’ampleur du désastre. « J’ai une petite retraite , je n’ai pas cotisé beaucoup de trimestres. Je comptais sur la Bourse pour m’aider. Je ne vais pas aller loin. »

Comme pour elle, l’effondrement boursier d’Atos, dont l’action a chuté entre 2020 et octobre 2024 de 75 euros à 67 centimes, a laissé bon nombre de petits porteurs sur le carreau. Philippe *, boursicoteur à gros montants, a perdu 500.000 euros sur le dossier. « Je voyais la boîte comme une pépite : le cloud, les supercalculateurs… J’ai acheté plusieurs fois les mauvaises nouvelles, quand le cours baissait, en me disant qu’elle allait se refaire. » Il y a encore Denise, 75 ans, qui a perdu 20.000 euros sur le titre. « En raison de sa situation stratégique pour la France  et même l’Europe, je pensais qu’elle allait se relever. Quand ils disent “vendez !”, c’est toujours trop tard. » La retraitée cache l’ampleur de ses pertes à son mari.

Si certains actionnaires ont cédé leurs parts, le pire est à venir pour ceux qui détiennent encore des actions du groupe de Bezons. Ce mardi 15 octobre, le tribunal de commerce de Nanterre commence une série d’audiences qui devraient déboucher sur la validation du plan de sauvegarde accélérée d’Atos. Négocié entre la direction et les créanciers, il entérine la prise de contrôle de ces derniers, et l’effacement d’une partie de la dette du groupe informatique en échange de nouvelles actions. Ce faisant, le maillet du juge plantera le dernier clou sur le cercueil des actionnaires existants. Ils devraient voir leur participation réduite à 0,1 % du capital de l’entreprise à l’issue de la restructuration.

On doute que leur détresse suscite quelque émoi dans la société. S’il y a bien quelques dossiers comme Eurotunnel par exemple, où l’Hexagone a pu s’émouvoir pour la fronde d’actionnaires individuels malheureux, le pays n’a que peu de compassion pour ceux qui perdent leur chemise dans le casino de la Bourse. Et pourtant. Ces deux dernières années, marquées par les mésaventures de Casino, Orpea puis Atos, ont donné à voir un nouveau rapport de force dans le sauvetage des entreprises lors duquel les actionnaires existants sont écrasés.

Chez le distributeur stéphanois, la restructuration menée par Daniel Kretinsky a débouché sur une dilution à hauteur de 0,3 % des actionnaires existants. La reprise des maisons de retraite Orpea (devenu Emeis) par la Caisse des dépôts a débouché à l’issue de la restructuration à une dilution des actionnaires à 0,04 % du capital. Chez Atos, ce sera 0,1 %.

Des recours qualifiés d’abusifs

Les petits porteurs ne se sont pas laissés faire. Dans ces trois dossiers, les fronts juridiques se sont multipliés. La palme revient à Orpea qui, à lui seul, a compté une quinzaine de procédures visant à remettre en cause la restructuration, dont une partie à l’initiative des actionnaires. Sans succès. Il faut dire que le droit de propriété dont jouissaient les petits porteurs détenteurs du capital des entreprises a été mis à mal par le droit des restructurations et des faillites.

« Le droit français a longtemps accordé aux actionnaires le pouvoir de bloquer des plans de restructuration, même au prix de la disparition de l’entreprise, au nom du respect du droit de propriété», rappelle Timothée Gagnepain, avocat spécialisé en restructuration chez McDermott Will & Emery. «  Depuis 2014, le législateur initié un rééquilibrage du rapport de force pour faire pleinement jouer son rôle à l’actionnaire. Depuis une directive européenne de 2019 transposée en 2021, il s’agit quasiment d’un devoir de restructuration pesant sur celui-ci, le tribunal pouvant désormais forcer l’adoption d’un plan qui impose un sacrifice des actionnaires au bénéfice des autres créanciers  »

Lors d’une procédure de restructuration, l’administrateur judiciaire constitue désormais des classes de créanciers en fonction de leurs intérêts. Chaque classe doit voter le plan de restructuration à la majorité des deux tiers. Mais une classe formée par des actionnaires qui viendraient à s’opposer à un plan peut se voir imposer le vote des autres classes. « À partir du moment où vous avez ne serait-ce qu’un créancier qui ne touche pas 100 % de sa créance à l’issue de la restructuration, l’actionnaire ne récupérera rien. La nouvelle loi simplifie et renforce considérablement l’efficacité des procédures  », explique encore Timothée Gagnepain. Un arrêt de la Cour de cassation, rendu à l’été 2023 sur un autre dossier, est venu affirmer que l’opposition d’actionnaires minoritaires à un plan de restructuration indispensable au redressement de la société, pour leur intérêt exclusif, était abusive.

L’intérêt économique prime sur le juridique. Aucun tribunal ne prendra le risque de conduire une entreprise à sa perte pour ces raisons

Laurent Cotret, avocat associé au sein du cabinet Auguste Debouzy

Laurent Cotret, avocat associé au sein du cabinet Auguste Debouzy, s’est frotté avec âpreté aux nouvelles règles. Représentant les intérêts de l’association d’actionnaires minoritaires d’Orpea, Adamo, il a multiplié les procédures, sur le fond comme la forme. « Ce n’est pas un très bon souvenir. Il reste des étapes de procédures au fond mais le combat est perdu d’avance. Malgré des vices de forme évidents, vous êtes emporté par le rouleau compresseur de la restructuration », explique-t-il. « L’intérêt économique prime sur le juridique. Aucun tribunal ne prendra le risque de conduire une entreprise à sa perte pour ces raisons. »

Certes, chez Atos, la restructuration va ouvrir un droit préférentiel de souscription aux actionnaires existants, qui pourront obtenir jusqu’à un quart du capital en participant à l’augmentation de capital de 233 millions d’euros. Encore faut-il croire à la perspective d’un rebond de l’entreprise, lestée par une dette de 3,4 milliards d’euros à l’issue de la sauvegarde. Dans le cas d’Orpea, les conditions du droit de souscription étaient telles que personne ne s’y est risqué.

Chez Casino enfin, un accord entre créanciers et direction a supprimé le droit de souscription pour les actionnaires existants. « La directive de 2021 n’avait pas pour but de punir les actionnaires, elle devait leur permettre de souscrire aux mêmes conditions que les créanciers. La France a fait une mauvaise transposition de la directive », peste Laurent Cotret.

Difficultés d’accès à une information fiable

« Les petits porteurs sont les grands perdants des négociations. Dès le début des discussions sur la restructuration, leur sort est souvent déjà scellé. Même ceux qui tentent de se regrouper rencontrent de grandes difficultés pour y parvenir », indique Timothée Gagnepain. Pour Laurent Cotret, ces nouvelles règles pourraient avoir des effets de bord néfastes pour l’attractivité de la place de Paris. Un comble, alors que l’exécutif a passé deux mandats à tenter de faire en sorte de flécher l’épargne des Français vers les marchés.

« Si les actionnaires qui prennent un risque sont assurés de se faire ratiboiser quand l’entreprise va mal… », souffle encore l’avocat. « Casino, Orpea et Atos, ce sont des faillites de gouvernance et de gestion. L’actionnaire est le propriétaire de l’entreprise, c’est à lui de gérer ces sujets. S’il laisse la boîte échouer, ça ne me paraît pas injuste qu’il soit dilué », tranche un bon connaisseur de la place.

Cela suppose néanmoins qu’il bénéficie d’une information loyale. Chez Orpea, il aura fallu l’enquête en profondeur du journaliste Victor Castanet dans le livre Les Fossoyeurs pour révéler l’ampleur des maltraitances. Chez Atos, l’ensemble des petits porteurs interrogés expliquent de bonne foi avoir cru aux messages rassurants sur les niveaux de dette et de liquidité du groupe. Des promesses martelées y compris en interne. « La communication auprès des équipes a toujours été positive et n’a jamais semblé reconnaître l’ampleur et la gravité du problème », explique un cadre du groupe indien Syntel, racheté par Thierry Breton en 2018.

Ce dernier a acheté des actions Atos via le Fonds commun de placement en entreprise (FCPE) à cette période. Il a perdu 150.000 euros, avant de sortir du capital en 2023. « Cela a anéanti le fonds d’études de mes deux enfants et m’a obligé à vendre d’autres biens », explique-t-il. Comment imaginer, dès lors, qu’un actionnaire minoritaire en dehors de l’entreprise dispose des éléments nécessaires à prendre les décisions qui s’imposent…

S’invite dès lors dans le débat le rôle de l’Autorité des marchés financiers, dont l’une des missions est de s’assurer que les investisseurs disposent d’une information fiable. « Il faut plus donner plus de moyens à l’AMF pour que ses enquêtes soient plus courtes et que les sanctions tombent », martèlent plusieurs sources du dossier Atos. À titre d’exemple, dans le dossier Casino, l’AMF a infligé une amende de 25 millions d’euros à la maison mère de Rallye, jugeant que le holding de Jean-Charles Naouri s’était rendu coupable d’une présentation de sa « situation de liquidité plus favorable qu’elle ne l’était ». Les faits incriminés remontaient à la période comprise entre mars 2018 et mai 2019. La décision est tombée en 2023, cinq ans plus tard. Une éternité. « L’AMF prend langue avec les sociétés pour les remettre dans le droit chemin lorsqu’elles s’en écartent. Mais le faire savoir est un jeu risqué qui peut se retourner contre le cours des sociétés cotées et donc les actionnaires », indique un ancien de la maison.

De multiples actions pour obtenir réparation

Écrasés par le rouleau compresseur de la restructuration, les petits porteurs, eux, tentent d’explorer d’autres voies pour obtenir réparation. Chez Casino, des minoritaires, dont les héritiers Guichard, ont déposé plainte, y compris au pénal, contre Jean-Charles Naouri et X pour manipulation de cours et diffusion d’informations trompeuses. Du côté d’Atos, plusieurs centaines de petits porteurs se sont regroupées dans un collectif, « L’Union pour la réparation des actionnaires (Upra) », avec l’espoir d’obtenir des indemnisations pour réparer de possibles informations trompeuses de la part du management et des commissaires aux comptes. Une action de groupe rarissime.

« Dès novembre 2023, j’ai pris conscience que, comme dans Casino ou Orpea, l’action allait chuter à 2 ou 3 centimes. Je me suis demandé comment réaliser une action en réparation », indique Marc Prily, qui fédère ce collectif. « Le choix s’est orienté sur une assignation contre les commissaires aux comptes qui ont certifié les comptes d’Atos, car nous estimons qu’ils n’ont pas tiré la sonnette d’alarme assez tôt. Nous avons réuni 450 plaignants, mais nous visons 1000 plaignants à terme. »

Face à une procédure qui s’annonce coûteuse, l’Upra a fait appel au cabinet Vermeille & Co pour rechercher des fonds de contentieux afin de sponsoriser l’opération judiciaire. L’idée est de pouvoir jouer à armes égales avec les commissaires aux comptes et la société. L’avocate Sophie Vermeille et l’Upra espèrent boucler un montage dans les prochaines semaines. « Les actionnaires ne doivent pas s’accrocher, au risque de prendre en otage l’entreprise. Mais ils doivent se battre pour se faire indemniser en se retournant contre les responsables », résume Sophie Vermeille, bonne connaisseuse de ce type de dossier.

Tout l’enjeu sera de démontrer la matérialité d’une faute des « CAC », bardés de protection dans ce type de dossier. Marc Prily sait que le chemin sera long. « Au moins deux ou trois ans », explique-t-il à ses plaignants. Une condamnation ne serait certes pas inédite. En février 2021, le Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C), le gendarme de l’audit, avait démontré plusieurs fautes de la part du cabinet Mazars et PwC dans l’audit des comptes de la société William Saurin. Les deux cabinets ont vu leurs sanctions alourdies en décembre 2023 par le Conseil d’État. « En aucun cas une quelconque réparation ne pourra couvrir la perte des actionnaires », conclut toutefois un avocat.

* Les prénoms ont été changés pour conserver leur anonymat.

https://www.lefigaro.fr/societes/je-voyais-cette-boite-comme-une-pepite-d-atos-a-casino-la-grande-deprime-des-petits-actionnaires-qui-ont-tout-perdu-20241014

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Si vous avez subi des pertes en tant qu’actionnaire ou ancien actionnaire d’Atos, ou en tant que porteur d’options donnant droit à des actions, sachez qu’une action en réparation est en cours de préparation. Des informations complémentaires sont disponibles sur le site Upra.fr (l’Union Pour la Réparation des Actionnaires). Notre association tente, pour la première fois, de lancer une action groupée financée par des fonds spécialisés dans le financement de contentieux. Il s’agit d’une première en France dans un dossier où des manquements à la réglementation boursière et comptable sont suspectés. Et il s’agit aussi d’une chance pour les plaignants puisque cette action est sans aucune avance de fonds, ni aucun engagement financier, hormis en cas de victoire.

La France connaît un précédent significatif de financement de contentieux par des fonds spécialisés. Ce précédent fait suite au gel des avoirs du fonds H20, consécutif à une violation de la réglementation applicable aux gestionnaires de fonds d’actifs. Bien que ce précédent soit quelque peu différent du nôtre, les discussions avec les fonds initiées dès février avancent car il y a de l’intérêt pour pénétrer un nouveau marché en France. Ces discussions sont donc longues en raison de l’absence de précédents, mais elles progressent.

En résumé, que vous soyez actionnaire ou porteur d’options donnant droit à des actions, vous pouvez espérer recouvrer une partie de vos pertes et vous joindre à la cause sans qu’aucun versement de votre part ne soit nécessaire. La réussite de l’action dépendra du nombre de « pertes éligibles » que nous pourrons rassembler. Le caractère éligible ou non des pertes dépend de l’issue des investigations sur les comptes du groupe ces dernières années. Si vous n’êtes pas encore préinscrit sur le site de l’UPRA, il est encore temps de le faire. Un site web sera entièrement dédié à l’action, on espère courant automne.

Pour des raisons de coûts de procédure, elle est réservée aux personnes ayant subi des pertes supérieures à 10 000€ minimum, sinon les coûts judiciaires, avocats, expertises, etc… qui vont se monter en millions d’euros seraient supérieurs à la perte et ne seraient pas rentables pour le fonds de litige. Soyez assuré qu’il ne s’agit pas de snobisme, mais réellement de contraintes financières.

www.upra.fr